Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
cousin anglais, car c’était ainsi qu’elle appelait Lionel. La conduite de Cécile Dynevor était beaucoup plus singulière, parfois même tout à fait inexplicable. Pendant des jours entiers elle était réservée, silencieuse et hautaine ; et tout à coup, sans raison, et comme par une impulsion subite, son humeur devenait douce et facile ; toute son âme passait dans ses yeux brillants, et son innocente gaieté la dépouillant d’une froide contrainte, faisait son bonheur, celui des autres, et enchantait tous ceux qui la voyaient. Lionel réfléchit pendant des heures entières aux variations inconcevables de l’humeur de sa jeune parente. Il y avait quelque chose de si piquant jusque dans les caprices de Cécile dont la taille élégante et la physionomie expressive donnaient du charme à tout ce qu’elle faisait, que Lionel résolut d’étudier tous ses gestes, d’épier tous ses sentiments, afin d’en pouvoir définir la cause. Cette assiduité plut à Cécile, et ses manières devinrent insensiblement moins bizarres et plus séduisantes, tandis que Lionel, sous l’influence de ce nouveau charme, ne vit plus rien, ne remarqua plus rien que la grâce et les charmes de sa cousine.
Dans une société nombreuse où les plaisirs, le monde et une multitude d’objets conspirent à nous distraire, de tels changements n’auraient pu être que le résultat d’une longue connaissance, si toutefois ils étaient arrivés ; mais dans une ville comme Boston, que presque tous ceux que connaissait Cécile avaient déjà abandonnée, et où ceux qui restaient encore vivaient seuls et inquiets au fond de leurs maisons, rien ne venait s’opposer à l’influence que, sans le savoir, ces jeunes gens exerçaient l’un sur l’autre, et il s’établit entre eux une sorte d’intelligence, sinon même de sympathie, dans le cours de cette quinzaine mémorable, pendant laquelle se préparaient des événements bien autrement importants dans leurs résultats que ceux qui peuvent intéresser une seule famille.
L’hiver de 1774 avait été aussi remarquable par sa douceur que le printemps fut froid et pluvieux. Cependant, comme cela arrive toujours dans notre climat variable, un rayon de soleil venait quelquefois rappeler l’été au milieu des frimas ; mais bientôt des torrents de pluie froide, que chassaient devant eux les vents de l’est, semblaient s’opposer au retour des beaux jours. Ces temps orageux se multiplièrent dans le milieu d’avril, et Lionel se vit forcé de garder la maison.
Un soir que la pluie tombait presque verticalement contre les croisées du parloir de Mrs Lechmere, Lionel monta dans sa chambre pour aller finir quelques lettres qu’il avait commencées avant le dîner pour l’agent de sa famille en Angleterre. En entrant dans son appartement, qu’il avait laissé vide, il fut surpris de le voir occupé d’une manière qu’il ne prévoyait pas. Un feu de bois brûlait dans le foyer, et jetait une clarté vacillante sur tous les meubles qui se projetaient sur le parquet en ombres fantastiques. En ouvrant la porte, son regard tomba sur une de ces ombres, qui, se dessinant sur le muret paraissant toucher au plafond, lui offrit les formes gigantesques mais réelles d’un être humain. Se rappelant qu’il avait laissé ses lettres ouvertes, et se fiant peu à la discrétion de Meriton, Lionel avança légèrement jusqu’à ce qu’il fût à portée de distinguer les objets, et, à son grand étonnement, il aperçut non son valet, mais son vieux compagnon de voyage. Le vieillard tenait la lettre écrite par Lionel, et il était si absorbé dans sa lecture, qu’il ne l’entendit point approcher. Un large manteau d’étoffe grossière et ruisselant d’eau cachait sa taille ; mais quoique ses cheveux blancs couvrissent une partie de sa figure, on ne pouvait méconnaître ses traits où le malheur était gravé en caractères ineffaçables.
– J’ignorais que je dusse recevoir votre visite, dit Lionel en s’avançant vivement au milieu de la chambre ; sans cela je n’aurais pas autant tardé à revenir chez moi, où je crains que vous ne vous soyez ennuyé, Monsieur, n’ayant pour distraction que ce chiffon de papier.
Le vieillard tressaillit, leva la tête, et Lionel vit avec surprise que de grosses larmes sillonnaient ses joues creuses et amaigries. Le regard courroucé avec lequel il avait abordé le vieillard fit place à une tendre pitié, et il allait lui parler
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