Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
sauvage, Mac-Fuse ; plus au milieu, s’il vous plaît. Vos oiseaux voyageurs sont souvent durs en diable sous les ailes. Mais, pour en revenir à ce que je disais, une nourriture simple et suffisante, voilà après tout le grand secret de la vie.
– Ma foi ! votre recommandation n’était pas inutile, reprit le grenadier en riant ; ce pauvre volatile volait sans doute sur les flancs de la troupe, et il a dû faire plus de chemin qu’un autre, ou bien il faut que je ne l’aie pas encore coupé dans le filet. – Mais, Polwarth, vous ne dites pas si vous commencez à être au fait des exercices de l’infanterie légère.
Polwarth était alors assez avancé dans son repas pour avoir recouvré une grande partie de sa bonne humeur, et il répondit avec moins de gravité :
– Si Gage ne change pas de système, il nous aura bientôt mis sur les dents. Vous savez sans doute, Lionel, que toutes nos compagnies sont dispensées de monter la garde, pour apprendre un nouveau genre d’exercice. Jolie dispense, en vérité, qui nous donne mille fois plus de mal encore ! car nous n’avons qu’un moment de répit, c’est lorsque nous nous couchons à terre pour faire feu. C’est un moment délicieux je l’avoue ; le diable, c’est qu’il faut se relever ensuite.
– Voilà dix jours que vos gémissements me l’ont appris, répondit Lionel. Mais que pensez-vous de cette nouvelle manière d’exercer les troupes, capitaine Mac-Fuse ? Croyez-vous que Gage ait quelque projet en tête ?
– Vous me faites, Monsieur, une question à laquelle je me trouve hors d’état de répondre, dit le grenadier. Je suis militaire, et j’obéis aux ordres qui me sont donnés, sans chercher à en connaître le motif. Tout ce que je sais, c’est que les grenadiers et l’infanterie légère ne montent plus la garde, et que nous ne faisons toute la journée que des marches et des contre-marches, au grand mécontentement et à la réduction visible des dimensions de Polwarth, qui perd autant d’embonpoint qu’il gagne de terrain.
– Croyez-vous, Mac ? s’écria le capitaine d’infanterie légère enchanté ; ce n’est pas du moins en pure perte que je me mets en sueur tous les jours ! Ils nous ont donné pour officier instructeur le petit Harry Skip, qui, je crois, a les meilleures de toutes les jambes au service de Sa Majesté. N’êtes-vous pas de mon avis, maître Sage ? Vous semblez méditer sur ce que nous disons, comme si ce sujet avait quelque charme secret pour vous.
L’individu à qui Polwarth adressait cette question, et qu’on avait déjà nommé, était debout, une assiette à la main, dans une attitude qui annonçait qu’il prenait un vif intérêt à la conversation, quoique ses yeux fussent fixés à terre et qu’il tint la tête détournée, comme si, tout en écoutant avec attention, il désirait ardemment ne pas être remarqué. Il était propriétaire de la maison dans laquelle Lionel avait pris un logement. Depuis quelque temps, sa femme et ses enfants avaient quitté Boston, et il donnait pour prétexte qu’il lui était trop difficile de pourvoir à leur subsistance dans une ville qui n’offrait pas de ressources, et où il ne se faisait plus d’affaires ; mais il était resté lui-même pour veiller à son bien et pour servir ses hôtes.
Cet homme réunissait, au moral comme au physique, une grande partie des attributs qui caractérisent une classe nombreuse de ses compatriotes. Au physique, il était d’une taille un peu au-dessus de la moyenne ; il était maigre et décharné, et les saillies de ses os ressortaient sur tous ses membres d’une manière extraordinaire. Il avait des yeux noirs, petits et brillants, qui annonçaient de l’intelligence, mais en même temps beaucoup de finesse et de pénétration ; du reste, il avait l’air froid et réservé. Se voyant toujours interpellé subitement par Polwarth sur son opinion, Seth dit avec la prudence cauteleuse dont il ne s’écartait jamais dans ses réponses :
– L’adjudant est un homme qui ne saurait rester en place ; mais il me semble que cela n’en vaut que mieux pour un officier d’infanterie légère. Il n’y a que le capitaine Polwarth qui en souffre beaucoup, et qui a bien de la peine à suivre sa compagnie, maintenant que le général a donné cette nouvelle besogne aux soldats.
– Et quel est votre avis sur ce que vous appelez notre nouvelle besogne, monsieur Sage ? demanda Mac-Fuse ; vous
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