Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
qui êtes un homme réfléchi et éminemment observateur, vous devez connaître à fond vos compatriotes : croyez-vous qu’ils se battent ?
– Une poule qu’on veut plumer cherche à se défendre, dit Seth sans lever les yeux de terre.
– Mais les Américains se regardent-ils comme plumés ?
– Je serais tenté de croire que c’est assez généralement l’avis du peuple, capitaine ; il y a eu de grandes rumeurs au sujet du papier timbré et du thé ; mais j’ai toujours dit que ceux qui ne faisaient point d’actes publics, et qui n’aimaient que les productions de leur pays, ne devaient pas se trouver entravés par la loi, après tout.
– Ainsi, maître Sage, s’écria le grenadier, vous ne trouvez pas que ce soit une grande oppression que de vous demander à contribuer, pour votre part, à l’entretien de braves et dignes soldats tels que moi, afin que nous nous battions pour vous.
– Quant à cela, capitaine, il me semble que nous saurions assez bien nous battre pour nous-mêmes, si l’occasion le demandait ; mais je ne crois pas que le peuple soit très-porté à le faire sans nécessité.
– Mais que veulent donc, selon vous, le comité de sûreté et vos enfants de la liberté, puisque c’est le nom qu’ils se donnent eux-mêmes ? Pourquoi toutes ces parades de leurs hommes à la minute, ces approvisionnements, ces transports de canons, et tant d’autres apprêts non moins formidables ? Penseraient-ils par hasard, honnête Seth, effrayer les soldats anglais avec leurs roulements de tambour, ou s’amusent-ils comme des enfants, les jours de fête, à jouer à la guerre ?
– Je serais tenté d’en conclure, dit Seth avec une gravité imperturbable, que le peuple ne badine pas, et qu’il songe sérieusement…
– À faire quoi ? demanda l’Irlandais ; à se forger des chaînes, afin que nous puissions ensuite les garrotter tout de bon ?
– Mais, en considérant qu’ils ont brûlé les papiers du fisc et qu’ils ont jeté les cargaisons de thé dans la mer, reprit Seth, et que, depuis lors, ils se sont mis à se diriger eux-mêmes, j’en conclurais plutôt qu’ils sont assez résolus à faire ce qui leur paraîtra dans leur intérêt.
Lionel et Polwarth se mirent à éclater de rire.
– Voilà des conclusions foudroyantes ! dit le premier ; je doute néanmoins que vous en tiriez de plus claires de notre hôte, capitaine Mac-Fuse. Sait-on bien, monsieur Sage, que des renforts considérables arrivent aux colonies, et en particulier à Boston ?
– Mais oui, reprit Seth ; on semble s’y attendre assez généralement.
– Et quel est le résultat de cette attente ?
Seth s’arrêta un moment avant de répondre, comme s’il voulait s’assurer qu’il eût bien compris la question qui lui était faite.
– Mais, comme le pays a pris l’affaire assez à cœur, il y en a qui pensent que, si les ministres n’ouvrent pas le port, le peuple pourra bien l’ouvrir lui-même sans plus amples discussions.
– Savez-vous bien, dit Lionel d’un ton grave, qu’une pareille tentative conduirait directement à une guerre civile ?
– Je suppose qu’il est de la prudence de calculer qu’une pareille mesure amènerait des troubles, reprit l’hôte avec son phlegme accoutumé.
– Et vous en parlez, Monsieur, comme si la nation ne devrait pas employer tous les moyens possibles pour prévenir ou détourner de telles conséquences !
– Si le port est ouvert et que le droit d’imposer des taxes soit abandonné, dit Seth avec calme, je puis trouver un homme dans Boston qui s’engagera à laisser tirer de ses propres veines tout le sang qui sera répandu.
– Et quel est cet individu si dévoué, maître Sage ? s’écria Mac-Fuse ; serait-ce par hasard votre pléthorique personne ? – Ah ! vous voilà, Doyle ; qui me procure l’honneur de votre visite ?
Cette question subite était adressée par le capitaine des grenadiers au sergent de sa compagnie, qui dans ce moment remplissait la porte de la chambre de son énorme corpulence, et, qui dans l’attitude du respect militaire, semblait se préparer à adresser la parole à son officier.
– L’ordre est venu, capitaine, de passer la compagnie en revue une demi-heure après la retraite, et de se tenir prêt à marcher.
Les trois officiers se levèrent en même temps à cette nouvelle, et Mac-Fuse s’écria : – Une marche de nuit ! Bah ! nous allons relever quelque garnison,
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