Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
sans doute. Mes compagnies de la ligne commencent à peine à s’endormir, et ont besoin de repos. Gage aurait pu prendre un moment plus convenable. Vous faire mettre en marche aussitôt après un repas tel que celui que vous nous avez servi, Polwarth !
– Il doit y avoir quelque motif plus urgent pour un ordre aussi extraordinaire, interrompit Lionel ; mais chut ! j’entends battre la retraite ! N’y a-t-il point d’autres troupes que votre compagnie qui aient reçu l’ordre de se tenir prêtes ?
– Le bataillon tout entier a reçu le même ordre, Votre Honneur, ainsi que le bataillon d’infanterie légère ; j’étais chargé d’en instruire le capitaine Polwarth, si je le rencontrais.
– Tout ceci cache quelque mystère, Messieurs, dit Lionel, et c’est un avis qu’il ne faut pas négliger. Si l’un des deux corps sort de la ville ce soir, je l’accompagnerai en qualité de volontaire ; car mon devoir, dans ce moment, est d’examiner l’état du pays.
– Il est certain que nous nous mettrons en marche ce soir, Votre Honneur, ajouta le sergent avec la confiance d’un vieux soldat ; mais jusqu’où irons-nous, et sur quelle route ? c’est ce qui n’est connu que des officiers de l’état-major, quoique les camarades pensent que nous sortirons par la porte des Collèges.
– Et, qui a pu leur fourrer cette idée dans la tête ? lui demanda son capitaine.
– Un des camarades, sorti de la ville par permission, vient de rentrer, et il a rapporté que quelques officiers de l’armée avaient dîné près de là, Votre Honneur, et qu’à la nuit tombante ils étaient montés à cheval, et avaient commencé à faire des patrouilles sur les routes dans cette direction. Il fut rencontré et questionné par quatre d’entre eux, au moment où il traversait la plaine.
– Tout ceci confirme mes conjectures, s’écria Lionel. Il est quelqu’un qui dans ce moment pourrait rendre de grands services.
– Job ! Où est donc l’idiot, Meriton ?
– On est venu le demander, Monsieur, il n’y a qu’une minute, et il a quitté la maison.
– Eh bien ! envoyez-moi M. Sage, continua le jeune homme qui paraissait réfléchir tout en donnant cet ordre.
Un instant après on vint lui dire que Seth avait également disparu.
– Sans doute, dit Lionel, la curiosité l’a conduit aux casernes, où vos devoirs vous appellent, Messieurs. J’ai quelques ordres à donner, et je vous y rejoindrai dans une heure ; il est impossible que vous vous mettiez en marche plus tôt.
Chacun fit alors ses préparatifs de départ : Lionel jeta son manteau entre les mains de Meriton, auquel il donna ses ordres, et priant ses hôtes de l’excuser, il sortit avec la précipitation de quelqu’un qui voyait qu’il n’y avait pas un instant à perdre en vaines réflexions. Mac-Fuse commença à s’équiper avec le phlegme d’un soldat qui a trop de service pour se laisser aisément déconcerter. Néanmoins, malgré tout son sang-froid, la patience manqua de lui échapper lorsqu’il entendit Polwarth répéter, pour la quatrième fois, l’injonction expresse de mettre de côté certaines viandes auxquelles il paraissait encore tenir, quoique la fortune l’obligeât à s’en séparer.
– Allons, allons, homme, s’écria l’Irlandais, pourquoi, à la veille d’une marche, vous embarrasser de tous ces détails d’épicurien ? C’est le soldat qui doit donner à vos ermites et à vos anachorètes l’exemple de la mortification. D’ailleurs ce soin tardif de vous faire mettre de côté des provisions est d’autant moins excusable de votre part, que vous saviez très-bien que nous devions partir ce soir même pour une expédition secrète.
– Moi ! s’écria Polwarth ; par l’espoir que j’ai de faire encore un repas semblable, je vous jure que j’ignorais autant que le dernier caporal de l’armée qu’il en fût question le moins du monde. Et pourquoi, s’il vous plaît, soupçonniez-vous le contraire ?
– Il ne faut qu’un rien pour apprendre à un vieux routier comme moi quand il se prépare quelque affaire, reprit froidement Mac-Fuse en rapprochant son manteau militaire sur ses épaules ; ne vous ai-je pas vu de mes propres yeux, il n’y a qu’une heure, charger d’une double ration au moins un certain capitaine d’infanterie légère ? Comment diable, mon cher, croyez-vous que, depuis vingt-cinq ans que je suis au service, je ne sache pas encore que
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