Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
effectivement un grand trouble d’esprit : il est temps de songer à réparer les désastres de notre marche.
– Croyez-vous que je n’y aie pas déjà songé ? dit Polwarth en se levant et en s’efforçant de suivre les pas rapides de son compagnon, non sans quelques grimaces arrachées par la fatigue. Mon premier soin, en vous quittant, a été d’emprunter le cabriolet d’un de mes amis, et de me rendre chez vous pour y donner les ordres nécessaires. Mon second a été d’écrire au petit Jemmy Craig, pour lui offrir l’échange de ma compagnie contre la sienne ; car, à compter de ce jour, je ne veux plus de vos mouvements d’infanterie légère, et je saisirai la première occasion de rentrer dans les dragons. Quand j’y aurai réussi, major Lincoln, je vous ferai des propositions pour votre cheval. Après avoir accompli ce devoir, car la conservation de soi-même est un devoir pour l’homme, j’ai préparé un menu que j’ai remis à Meriton, afin qu’il n’oublie rien ; après quoi, Lionel, je suis venu comme vous me jeter aux pieds de ma maîtresse. Mais vous êtes un heureux mortel, major Lincoln ; vous avez été accueilli par les sourires de la beauté, tandis que…
– Ne me parlez ni de sourire ni de beauté, s’écria Lionel avec impatience, toutes les femmes se ressemblent : elles sont toutes capricieuses et inconcevables.
– Oh ! oh ! dit Polwarth en jetant les yeux autour de lui d’un air étonné, il n’y a donc ici de faveur à espérer pour aucun de ceux, qui portent les armes pour le roi ? Il faut qu’il y ait une étrange liaison entre Cupidon et Mars, entre l’amour et la guerre ! Après m’être battu toute la journée comme un Sarrasin, un Turc, un Gengiskan, en un mot comme un païen, j’arrive ici bien déterminé à faire à cette petite sorcière de traîtresse l’offre de ma main, de mon cœur, de ma commission et de Polwarth-Hall, et elle m’accueille en fronçant les sourcils, et avec des sarcasmes aussi mordants que les dents d’un homme affamé ! Mais quels yeux elle a, et quelles belles couleurs quand elle est un peu animée ! Ainsi donc, Lionel, vous avez aussi été traité comme un dogue ?
– Comme un fou que je suis, répondit Lionel en doublant le pas ; et son compagnon essoufflé, s’épuisant en efforts pour le suivre, fut hors d’état de prononcer un seul mot de plus avant qu’ils fussent arrivés à leur destination. Et à la grande surprise des deux officiers, ils trouvèrent une compagnie que ni l’un ni l’autre ne s’attendait à voir. Mac-Fuse, placé devant une petite table, dirigeait une attaque très-vive contre quelques viandes froides, restes du repas de la veille, et arrosait ses morceaux en buvant à grands traits le meilleur vin de son hôte. Dans un coin de la chambre Seth Sage était debout, les mains liées avec une longue corde qui aurait pu au besoin servir de licou. En face du prisonnier, car telle était la situation de Sage, était Job, imitant la conduite du capitaine de grenadiers, qui lui jetait de temps en temps quelques fragments de son dîner, dont l’idiot faisait son profit. Meriton et les domestiques de la maison attendaient les ordres qu’on pourrait leur donner.
– Que se passe-t-il donc ici ? demanda Lionel en regardant cette scène, d’un air étonné. De quelle faute M. Sage s’est-il rendu coupable pour qu’il soit ainsi garrotté ?
– De la petite faute de haute trahison et de meurtre, répondit Mac-Fuse ; si tirer un coup de fusil à un homme, avec la bonne intention de le tuer, doit s’appeler meurtre.
– Non, non, dit Seth en levant les yeux qu’il avait tenus jusqu’alors fixés sur le plancher dans un profond silence ; pour qu’il y ait meurtre, il faut avoir tué avec intention de tuer, et…
– Écoutez-moi ce drôle, expliquant les lois comme s’il présidait la cour du banc du roi ! s’écria Mac-Fuse en l’interrompant. Et quelle était votre intention en tirant sur moi, vagabond maraudeur, si ce n’était de me tuer ? Mais vous serez jugé et pendu pour ce fait.
– Il est contre toute raison, dit Seth, de croire qu’un jury me déclarera coupable du meurtre d’un homme qui se porte bien. Vous ne trouverez pas dans toute la colonie de la baie de Massachusetts un jury qui rende une pareille déclaration.
– De la colonie ! brigand, assassin, rebelle ! s’écria le capitaine ; je vous enverrai en Angleterre, et c’est là que
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