Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
quand nous arrivâmes à un pont qui en est à environ un mille, nous fumes fort maltraités par les troupes du roi qui s’en étaient emparées.
– Et que firent-elles ?
– Elles firent feu, sur nous, et tuèrent deux de nos compagnons ; il y avait parmi nous des gens qui prirent l’affaire fort à cœur, il en résulta quelques minutes de contestation assez chaude, mais enfin force resta à la loi.
– À la loi ?
– Sans doute. Je crois que le major conviendra qu’il est contre la loi de faire feu sur des gens paisibles qui se trouvent sur la grande route.
– Continuez.
– C’est à peu près tout ; le peuple fut mécontent de cela et de quelques autres choses qui s’étaient passées à Lexington, mais je suppose que le major sait le reste.
– Et qu’est-ce que tout cela a de commun avec votre tentative pour m’assassiner, hypocrite ? s’écria Mac-Fuse. Avouez la vérité, afin que je puisse vous faire pendre sans que ma conscience me reproche rien.
– En voilà bien assez, dit Lionel ; les aveux qu’il a déjà faits suffisent pour nous autoriser à le confier à la garde de ceux qui doivent en être chargés. Qu’on le conduise au quartier-général, comme ayant été pris les armes à la main.
Seth se mit sur-le-champ en marche pour partir ; mais quand il fut près de la porte, il s’arrêta et dit en se retournant :
– J’espère que le major veillera sur ce qui m’appartient. Je lui déclare que je l’en regarde comme responsable.
– Vos propriétés seront respectées, dit Lionel, et je désire que votre vie ne coure pas plus de dangers. À ces mots, il fit un signe de la main pour qu’on l’emmenât. Seth se détourna, et quitta sa propre demeure avec le même air de tranquillité qui l’avait distingué toute la journée, quoique ses yeux noirs et ardents lançassent de temps en temps des regards qui semblaient comme les étincelles d’un feu couvant sous la cendre. Malgré la phrase menaçante qu’il venait d’entendre, il sortit avec un air convaincu que, si l’on jugeait son affaire d’après les principes de justice que chaque habitant de la colonie connaissait si bien, on trouverait que ses compagnons et lui n’avaient rien fait qui ne fût parfaitement conforme aux lois.
Pendant cette conversation singulière et caractéristique, à laquelle il n’avait pris part qu’une seule fois, Polwarth s’était occupé très-activement à accélérer les préparatifs du repas.
Lorsque Seth et ceux qui le conduisaient eurent disparu, Lionel jeta un regard à la dérobée sur Job, qui était en apparence spectateur tranquille et indifférent de cette scène, et s’occupa ensuite des hôtes, pour empêcher leur attention de se fixer sur l’idiot dont il craignait que la folie ne trahit la part qu’il avait prise aux événements de la journée. Mais la simplicité de Job déjoua les bonnes intentions du major, car il dit sur-le-champ, sans le moindre symptôme de frayeur :
– Le roi ne peut faire pendre Seth Sage pour avoir tiré, puisque ces infernaux soldats avaient tiré les premiers.
– Maître Salomon, s’écria Mac-Fuse, vous étiez peut-être aussi à vous amuser à Concorde avec quelques amis ?
– Job n’a pas été plus loin que Lexington, et il n’a d’autre ami que la vieille Nab.
– Il faut que tous ces gens-là soient possédés du diable ! Docteurs et hommes de loi, prêtres et pécheurs, jeunes et vieux, grands et petits, tous nous ont harcelés pendant toute la route, et voilà un hébété qu’il faut ajouter à ce nombre. Je parie que vous avez cherché aussi à commettre quelque meurtre ?
– Meurtre ! À Dieu ne plaise ! Job n’a tué qu’un grenadier, et blessé un officier au bras.
– Entendez-vous cela, major Lincoln ? s’écria Mac-Fuse en se levant avec précipitation ; car, malgré la vivacité de son accent, il était constamment resté assis jusqu’alors. Entendez-vous cette écaille d’huître, cette effigie humaine, oser se vanter d’avoir tué un grenadier ?
– Un peu de modération, Mac-Fuse, dit Lionel en saisissant le capitaine par le bras ; souvenez-vous que nous sommes soldats, et que l’organisation de son cerveau fait qu’il ne peut être responsable de ses actions. Pas un tribunal ne condamnerait au gibet un être si infortuné, et en général il est aussi doux que l’enfant qui vient de naître.
– Au diable soient de tels enfants !… Voilà un joli
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