Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
s’avança vers lui avec un air de calme et de satisfaction. Ses habits étaient déchirés, la housse de la selle du cheval était coupée en rubans, et quelques taches de sang caillé sur les flancs du noble animal, annonçaient que celui qui le montait avait attiré l’attention particulière des Américains.
Le capitaine raconta alors ses aventures. Il avait senti renaître en lui le désir de suivre ses compagnons d’armes, quand il avait vu le cheval du major courir à l’abandon dans la campagne. Il avoua même qu’il lui en avait coûté sa montre pour se le faire amener. Mais, une fois qu’il s’était trouvé en selle, ni dangers, ni remontrances, n’avaient pu le décider à quitter une position où il se trouvait si à son aise, et qui le consolait de toutes les fatigues qu’il avait éprouvées dans cette malheureuse journée où il avait été obligé de partager les calamités de ceux qui avaient combattu pour la couronne d’Angleterre dans le mémorable combat de Lexington {41} .
CHAPITRE XI
FLUELLEN : N’est-il pas permis, Votre Majesté, de dire combien il a été tué de monde ?
SHAKESPEARE. Le roi Henri V .
Un fort détachement des troupes royales fut placé sur une hauteur qui commandait les approches de leur position ; le reste pénétra plus avant dans la péninsule, ou fut transporté à Boston {42} par les chaloupes de la flotte. Lionel et Polwarth passèrent le détroit avec la première division des blessés : le premier n’ayant pas de devoirs à remplir qui pussent le retenir avec le détachement ; le second soutenant hautement que ses souffrances corporelles lui donnaient le droit incontestable d’être compris parmi ceux que le fer ou le plomb des Américains avaient atteints.
Aucun officier de l’armée du roi n’éprouvait peut-être un chagrin aussi vif que le major Lincoln du résultat de cette expédition ; car, malgré son attachement pour son roi et sa patrie d’adoption, il n’en prenait pas moins d’intérêt à la réputation de ses véritables concitoyens, sentiment honorable à la nature humaine, et qui n’abandonne jamais que celui qui en oublie les impulsions les plus nobles et les plus pures. Tout en regrettant ce qu’il en avait coûté à ses compagnons d’armes pour apprendre à apprécier le caractère de ces colons dont la longue patience avait été prise mal à propos pour de la pusillanimité, il était charmé de voir que les yeux des vieillards s’ouvraient enfin à la vérité, et que la bouche des jeunes inconsidérés se fermait de honte. On cacha, probablement par des motifs politiques, la perte véritable qu’avaient essuyée les deux détachements employés à cette expédition ; mais il fut bientôt reconnu qu’elle était environ du sixième de ceux qui en avaient fait partie.
Lionel et Polwarth se séparèrent sur le quai, le capitaine d’infanterie légère ayant dit à son ami qu’il ne tarderait pas à aller le rejoindre chez lui où il se promettait de se dédommager de l’abstinence forcée et des privations auxquelles il avait été condamné pendant sa longue marche. Le major prit alors le chemin de Tremont-Street, pour aller calmer les inquiétudes qu’une espérance secrète et flatteuse le portait à croire que ses belles parentes avaient conçues pour sa sûreté. À chaque coin de rue, il rencontrait des groupes d’habitants qui discutaient avec vivacité sur les évènements qui venaient d’avoir lieu, quelques uns se retirant consternés de la résolution et du courage dont avaient donné des preuves ces colons qu’ils avaient cherché à avilir aux yeux de leurs oppresseurs ; mais le plus grand nombre regardant avec un air de satisfaction farouche le militaire qui passait près d’eux, et dont les vêtements un peu en désordre prouvaient qu’il était du nombre de ceux qui avaient été forcés de se retirer devant les Américains.
Lorsque Lionel frappa à la porte de la maison de Mrs Lechmere, il avait déjà oublié sa fatigue ; et, quand elle s’ouvrit, et qu’il vit Cécile dans le vestibule, exprimant dans tous les traits de son charmant visage la force de son émotion, il ne se souvint plus des dangers auxquels il avait été exposé.
– Lionel ! s’écria Cécile en joignant les mains dans un mouvement de joie ; c’est lui-même et sans être blessé ! Le sang monta de son cœur à ses joues et à son front, et, couvrant son visage des deux mains pour cacher sa rougeur,
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