Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
elle s’éloigna précipitamment.
Agnès Danforth ne chercha pas à cacher le plaisir avec lequel elle le revoyait, et elle ne voulut lui faire aucune question pour satisfaire la curiosité qui la dévorait, avant de s’être parfaitement assurée qu’il n’avait reçu aucune blessure. Alors elle lui dit, avec un air de triomphe, accompagné d’un sourire malin :
– Votre marche a attiré un grand concours de monde, Lionel Lincoln ; d’une fenêtre du dernier étage de cette maison, j’ai vu une partie des honneurs que les bons habitants de Massachusetts ont rendus à ceux qui venaient les visiter.
– En vérité, miss Agnès, sans les conséquences terribles qui doivent s’ensuivre, je me réjouirais, comme vous, des événements de cette journée ; car un peuple n’est jamais certain de ses droits, jusqu’à ce qu’ils soient respectés.
– Eh bien ! cousin Lincoln, apprenez-moi donc tout ce qui s’est passé, afin que je voie si je dois être glorieuse du lieu de ma naissance.
Lionel lui fit un récit abrégé, mais exact et impartial, de tous les événements dont il avait été témoin, et sa jolie cousine l’écouta avec un intérêt qu’elle ne cherchait pas à déguiser.
– Eh bien ! s’écria-t-elle, quand il eut fini sa relation, j’espère que cette journée mettra fin à toutes les sottes railleries dont on nous a si longtemps fatigué les oreilles ; mais vous savez, ajouta-t-elle avec une légère rougeur et en souriant d’une manière aussi maligne que comique, vous savez que j’avais un double intérêt dans la fortune du jour, mon pays et mon admirateur.
– Oh ! soyez sans inquiétude, votre adorateur est revenu sain de corps, et vos rigueurs seules le rendent malade d’esprit ; il a fait toute la route avec une dextérité merveilleuse, et il s’est montré excellent soldat dans le danger.
– Quoi ! major Lincoln, dit Agnès en rougissant encore, mais sans cesser de sourire, voudriez-vous me faire croire que Pierre Polwarth a fait quarante milles à pied, entre le lever et le coucher du soleil ?
– Il a réellement fait cet exploit entre deux soleils, si vous en exceptez une courte promenade sur mon cheval, que nos compatriotes m’avaient obligé à abandonner par prudence, et dont il a pris et conservé possession, malgré les périls auxquels cette témérité l’exposait.
– En vérité ! s’écria Agnès en joignant les mains avec un air de surprise affectée, quoique Lionel ne crût voir en elle aucune marque de satisfaction intérieure occasionnée par les dernières nouvelles qu’il venait de lui apprendre. Les prodiges du capitaine excèdent toute croyance ; il faut avoir la foi du patriarche Abraham pour croire à de semblables merveilles. Mais, après avoir appris qu’un corps de deux mille Anglais a reculé devant un rassemblement de paysans américains, il n’est rien que je ne sois disposée à croire.
– Le moment est donc favorable pour mon ami, dit Lionel à demi-voix en souriant. Il se leva pour suivre Cécile Dynevor qui venait de rentrer, et qui passa dans un appartement voisin en voyant arriver le capitaine Polwarth. On dit, ajouta-t-il, que la crédulité est le grand défaut de votre sexe, et il faut que je vous y laisse exposée un moment, dans la compagnie de celui qui était le sujet de notre entretien.
– Capitaine Polwarth, dit Agnès en rougissant un peu, je suis sûre que vous abandonneriez la moitié des espérances d’avancement que peut vous donner la guerre, pour savoir de quelle manière nous avons parlé de vous en votre absence. Mais je ne satisferai pas votre curiosité ; qu’elle vous serve de stimulant pour des faits plus glorieux que ceux qui vous ont occupé aujourd’hui.
– J’espère que Lincoln m’a rendu justice, dit le capitaine toujours de bonne humeur, et qu’il n’a pas oublié de vous dire que j’ai empêché son excellent coursier de tomber entre les mains des rebelles.
– Entre les mains de qui, Monsieur ? s’écria Agnès en fronçant les sourcils ; comment appelez-vous les braves habitants de la baie de Massachusetts ?
– Je crois que j’aurais dû dire les habitants exaspérés du pays. Ah ! miss Agnès, j’ai souffert aujourd’hui ce que jamais homme n’a souffert auparavant, et tout cela à cause de vous.
– À cause de moi ? Cela demande une explication, capitaine Polwarth.
– Impossible, miss Agnès ; il y a des sentiments et des actions
Weitere Kostenlose Bücher