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Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)

Titel: Lionel Lincoln (Le Siège de Boston) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Fenimore Cooper
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XIV
    Tu me rencontreras à Philippes.
    SHAKESPEARE. Jules César .
    Pendant cette période d’excitation politique, tandis que tout prenait l’apparence de la guerre et qu’on en éprouvait déjà les privations, quoiqu’on en connût à peine la marche et les dangers, Lionel Lincoln, malgré l’intérêt puissant que lui inspiraient les affaires publiques, n’avait pas tout à fait oublié ses sentiments personnels. Dans la matinée qui suivit la nuit où il avait vu la scène du vieux magasin, entre Mrs Lechmere, Abigaïl et Ralph, il y était retourné de très-bonne heure pour tâcher de calmer les inquiétudes dont il était dévoré, en cherchant de nouveau à obtenir une explication complète de tous ces mystères, principal lien qui l’avait attaché à un homme qu’il ne connaissait guère que par ses singularités.
    Les effets du combat qui avait eu lieu la veille se faisaient déjà sentir sur la place du marché, car Lionel, en y passant, n’y vit qu’un bien petit nombre des villageois qui le remplissaient ordinairement à une pareille heure. Dans le fait, on n’ouvrait les boutiques qu’avec précaution ; et l’on regardait en l’air comme si l’on eût douté que le soleil pût répandre la lumière et la chaleur comme dans des temps de tranquillité ordinaire. La crainte et la méfiance avaient pris la place de la sécurité dans toutes les rues de la ville.
    Quoique le soleil se levât à peine, peu de personnes étaient dans leur lit, et l’on voyait sur le visage de ceux qui se montraient qu’ils avaient passé la nuit en veillant. De ce nombre était Abigaïl Pray, qui reçut la visite du major dans sa petite tour, où il la trouva entourée de tout ce qu’il y avait vu la veille, sans y remarquer aucun changement, si ce n’est dans ses yeux noirs, qui brillaient quelquefois comme des diamants au milieu de ses rides, mais qui alors étaient ternes et enfoncés, exprimant plus fortement qu’à l’ordinaire la détresse et les soins pénibles de cette femme.
    – Vous me voyez de bien bonne heure, Mrs Pray, dit Lionel en entrant, mais une affaire de la plus grande importance exige que je voie sur-le-champ le vieillard qui loge chez vous. Il est sans doute dans sa chambre ; je vous prie de lui annoncer ma visite.
    Abigaïl secoua la tête avec une expression de solennité, et lui répondit d’une voix presque éteinte :
    – Il est parti.
    – Parti ? s’écria Lionel ; où est-il allé ? quand est-il parti ?
    – Il semble que la colère de Dieu soit répandue sur ce pays, Monsieur. Les jeunes, les vieux, les malades, les bien portants, tous ne songent qu’à verser le sang, et il n’est pas au pouvoir de l’homme de dire où ce torrent s’arrêtera.
    – Qu’a tout cela de commun avec Ralph ? Où est-il, femme ? Osez-vous me débiter des mensonges ?
    – À Dieu ne plaise que mes lèvres s’ouvrent jamais encore pour le mensonge, et surtout en vous parlant, major Lincoln ! Cet homme étonnant, qui semble avoir vécu si longtemps qu’il peut lire même dans nos plus secrètes pensées, ce que je ne croyais au pouvoir de personne, a quitté cette maison, et j’ignore s’il y reviendra jamais.
    – Jamais ! J’espère que vous ne l’avez pas chassé de votre misérable demeure par la violence ?
    – Ma demeure est comme celle des oiseaux de l’air, c’est la demeure de quiconque est assez malheureux pour n’en avoir pas d’autre. Il n’y a pas un seul point sur la terre que je puisse dire être à moi, major Lincoln. Mais j’aurai un jour une autre habitation ; oui, oui, une habitation étroite qui nous attend tous ; et fasse le ciel que la mienne soit aussi tranquille qu’on dit que l’est le cercueil ! Mais je ne vous mens pas, major Lincoln ; pour cette fois je ne cherche pas à tromper. Ralph et Job sont partis ensemble comme la lune se levait ; mais où sont-ils allés ? c’est ce que j’ignore, à moins que leur dessein ne soit de joindre les gens armés qui sont hors de la ville. Ralph m’a fait des adieux et m’a dit des choses qui retentiront à mes oreilles jusqu’à ce que la mort les ait closes pour toujours.
    – Allé joindre les Américains ! et avec Job ! dit Lionel en se parlant à lui-même sans faire attention aux derniers mots prononcés par Abigaïl Pray. Cet acte de témérité mettra votre fils en grand danger, Mrs Pray ; il faudrait y prendre garde.
    – Job n’est pas du nombre de ceux que Dieu

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