Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
chevaleresque qu’on obtient rarement dans un siècle éclairé, et qui ne s’accorde jamais sans avoir été méritée.
Les grandes richesses de la famille de Lincoln et les hautes espérances que donnait celui qui devait en être héritier, avaient valu à celui-ci un rang auquel presque personne n’arrivait à cette époque sans l’avoir acheté par de longs et importants services.
En conséquence, plusieurs de ceux qui se trouvaient élevés au même grade que lui avaient partagé avec son père ces travaux dans lesquels le Cœur-de-Lion d’Amérique s’était rendu si illustre par ses exploits. Le nom de Putnam était toujours prononcé par ces braves vétérans qui devaient le connaître le mieux, avec un ton d’affection sincère et presque romanesque ; et lorsque les vils conseillers qui entouraient le commandant en chef proposèrent de chercher à le détacher de la cause des colons en lui promettant des richesses et des emplois, les anciens compagnons du vieux partisan écoutèrent cette proposition avec un sourire d’incrédulité méprisante que l’événement justifia. De semblables offres furent faites à d’autres Américains dont on jugeait les talents dignes d’être achetés ; mais les principes du jour avaient jeté des racines si profondes, que pas un homme jouissant de quelque considération ne voulut les écouter.
Tandis qu’on avait recours à ces épreuves politiques, au lieu d’adopter des mesures plus énergiques, des troupes continuaient à arriver d’Angleterre, et, avant la fin de mai, plusieurs chefs renommés parurent dans le conseil de Gage, qui avait alors une force disponible de huit mille baïonnettes. L’arrivée de ces forces fit revivre l’esprit abattu de l’armée, et de jeunes orgueilleux, qui venaient de figurer à la parade dans leur île si vantée, se trouvaient humiliés en songeant qu’une telle armée se trouvait resserrée dans la péninsule par une bande de paysans mal armés, sans connaissance de la guerre et manquant de munitions. Leur humiliation fut encore augmentée par les sarcasmes des Américains qui commençaient à plaisanter à leur tour, et surtout aux dépens de Burgoyne {44} , un des chefs de l’armée royale, qui, dès l’instant de son arrivée, avait eu la gloriole d’afficher son intention de reculer les limites dans lesquelles l’armée anglaise était enfermée. L’aspect de l’intérieur du camp britannique annonçait pourtant que les chefs de l’armée avaient l’intention d’agrandir leurs possessions, et tous les yeux se tournaient vers les hauteurs de Charlestown, point qui semblait devoir être le premier occupé.
Aucune position militaire ne pouvait être plus heureusement placée, quant à la situation, pour se soutenir réciproquement et pour affaiblir les lignes des ennemis, que les deux péninsules dont nous avons si souvent parlés. La distance qui les séparait n’était que de trois cents toises, et les eaux profondes et navigables dont elles étaient presque entièrement entourées, rendaient facile au général de l’armée royale de se procurer, en quelque temps que ce fût, l’assistance des vaisseaux de la flotte qui tiraient le plus d’eau, pour défendre l’un ou l’autre point. Avec de pareils avantages, l’armée anglaise entendit donner avec plaisir des ordres qui semblaient indiquer un mouvement prochain vers la rive opposée.
Trois mois s’étaient presque écoulés depuis le commencement des hostilités, et l’on s’était encore borné, de part et d’autre, aux préparatifs de guerre dont nous venons de parler, si l’on en excepte une ou deux escarmouches assez vives qui avaient eu lieu sur des îles du havre, entre les fourrageurs de l’armée royale et des détachements américains, et les colons ne démentirent pas dans ces rencontres la réputation de courage qu’ils avaient déjà acquise.
La gaîté était revenue à Boston, à la suite des régiments arrivés d’Angleterre, quoique ceux des habitants qui étaient forcés à y rester, malgré leur inclination, maintinssent dans leur conduite une froide réserve qui repoussait les efforts que faisaient les officiers pour les attirer à leurs fêtes. Il y avait pourtant un petit nombre de colons qui, s’étant laissé gagner par des promesses, de l’argent et des places, avaient abandonné la cause de leur pays, et comme quelques uns en avaient déjà été récompensés par des emplois qui leur donnaient accès
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