L'oeil de Dieu
le bras, affolée de la voir si pâle, les traits tirés et de profonds cernes sous les yeux.
— Ça va aller, dit Kathryn.
Mais elle se laissa guider par sa servante pour monter les escaliers et gagner sa chambre. Là, elle s’étendit sur le lit et prit un petit coussin qui lui venait de son enfance, qu’elle plaça sur son estomac, s’efforçant de se concentrer sur sa respiration pour calmer les battements précipités de son coeur.
— Colum a tué un homme, expliqua-t-elle, les yeux fixés sur le ciel de lit. Il a tué l’homme qui est venu ici hier, l’a décapité comme tu couperais une fleur, Thomasina. Et il semblait indifférent.
La servante s’assit sur le lit et caressa doucement la main glacée de Kathryn.
— Ils sont obligés d’être durs, chuchota-t-elle, c’est ainsi dans le monde des soldats. S’ils pensaient, réfléchissaient, ils seraient comme vous maintenant : terrorisés. Mon second mari était ainsi, poursuivit-elle. C’était un soldat avec des cuisses comme des troncs d’arbre, et il me culbutait sur le lit sans arrêt. Mais la nuit, il faisait d’affreux rêves. Ah, voici Agnes avec du vin et du pain.
Thomasina aida Kathryn à s’asseoir, puis à grignoter le pain frais et boire le vin coupé de tisane. Ensuite, elle ordonna à Agnes de faire du feu et de rentrer l’un des petits braseros qui étaient dehors. Kathryn commençait à se détendre et à se réchauffer, bercée par le bavardage délibérément futile de la servante. Elle lui rendit sa coupe et glissa dans un profond sommeil.
Thomasina la réveilla deux heures plus tard, Kathryn ouvrit vivement les yeux. Elle avait la bouche sucrée grâce au vin et se sentait plus forte. S’efforçant d’oublier les cauchemars qui l’avaient hantée dans son sommeil, elle se bassina le visage avec de l’eau de rose, puis elle se coiffa, mit un voile propre et se rendit à la cuisine.
Colum s’y trouvait avec Sturry, bien vêtu et repu. Les deux hommes étaient assis devant le feu. Colum avait aussi fait toilette, il s’était lavé et rasé, et seuls ses yeux fatigués rappelaient le combat mortel qu’il avait livré un peu plus tôt. Sturry, de son côté, était de fort bonne humeur et bavardait sans arrêt tandis que Thomasina servait aux deux hommes du bouillon chaud et du vin coupé d’eau.
Kathryn demanda à Sturry s’il avait rencontré quelqu’un du nom de Wyville ou Lessinger, mais l’ancien prisonnier secoua la tête et reprit le cours de son bavardage.
Après le repas, les deux hommes et Kathryn partirent pour le château. La nuit tombait, les étals du marché avaient disparu, et les gens se hâtaient, soit pour rentrer chez eux, soit pour répondre aux cloches des églises qui les appelaient à la prière du soir. Kathryn chevauchait derrière Colum et Sturry, et ce dernier bavardait toujours lorsqu’ils arrivèrent à Winchepe. Là, Colum fît ralentir sa monture pour se laisser rattraper par Kathryn.
— Thomasina m’a dit que vous aviez eu un malaise ?
— Pas vraiment, répliqua sèchement Kathryn. J’ai l’habitude de voir dans la même journée pendre un homme et un autre se faire décapiter d’un coup d’épée.
Elle lança un regard vif à Colum.
— Cela ne vous gêne pas, vous ?
— Si, cela me gêne, mais je n’y pense pas, Kathryn…
Sa voix se perdit. Il aurait voulu remercier la jeune femme, mais le moment était mal choisi.
Ils arrivaient au château. Des garçons d’écurie prirent leurs chevaux tandis qu’un régisseur les conduisait dans la grande salle. Ils durent attendre un moment que les hôtes du château aient terminé leur repas. Kathryn, muette, savourait son soulagement que Colum ait réchappé au traquenard de Fitzroy. Elle voulut aussi se rappeler quelque chose qu’elle avait vu dans la cellule de Faunte, au Guildhall, mais le détail lui échappait. Elle secoua la tête : sans doute était-elle encore trop fatiguée. D’un geste elle indiqua la haute table.
— Savez-vous si nous sommes attendus ?
— Oui, répondit Colum, mais ils ignorent la raison de notre visite.
Le repas s’acheva, et Fletcher, Gabele, Margotta, Fitz-Steven le clerc, Peter le chapelain ainsi que le Vertueux les rejoignirent devant la vaste cheminée.
— Il est tard, Irlandais, commença Gabele. D’un geste de la tête, il indiqua Sturry et demanda :
— Que fait-il ici ?
— Le roi l’a gracié. Il est là pour m’aider.
— Comment
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