L'Ombre du Prince
s’éveillait
curieusement à tout. Chaque chose l’intéressait. Rekmirê était aussi doué pour
les mathématiques que pour les sciences ou les lettres et, à présent, il
conduisait un char avec maîtrise et tirait à l’arc avec une grande habileté.
Avant son départ, Thoutmosis lui avait offert
un couple de petits chevaux arabes, rapides, nerveux, d’un noir si intense qu’aucune
tache claire ne venait en perturber le pelage souple et soyeux. Destinés au
combat, ces chevaux qui venaient presque de naître promettaient de belles
victoires.
— Tu les attelleras à ton char. Dans
trois ou quatre ans, ces chevaux seront capables de combattre. Alors, tu m’accompagneras,
Rekmirê.
Les yeux de l’adolescent s’étaient mis à
briller d’une lueur que Thoutmosis ne pouvait oublier.
— Rekmirê, à quoi penses-tu donc ?
fit Séchât en soupesant le regard de son fils. Depuis que la clepsydre a entamé
sa nouvelle heure, ton papyrus est vierge. Que t’arrive-t-il ?
Le garçonnet baissa aussitôt la tête et se mit
à noircir rapidement son feuillet. « Ciel ! se dit Séchât, il me fait
penser à mes années d’école lorsque j’avais son âge. Il prend toujours le
travail en retard et, à coup sûr, il est le premier à le rendre. » Elle se
souvint alors des compliments que lui faisait le vieux maître Parenefer, Grand
Scribe de l’École du Palais au temps de Thoutmosis le deuxième, quand elle lui
tendait ses devoirs, les meilleurs de la classe.
Rekmirê ne leva plus la tête tant l’inspiration
semblait le saisir. De temps à autre, il plongeait son calame dans l’encre
rouge et traçait la première lettre de sa ligne. Puis, il reprenait le calame
qui lui servait à écrire avec l’encre noire et poursuivait son devoir sans plus
s’attarder.
Malgré son chagrin, Séchât sourit.
Elle s’efforça d’oublier la peine qui
enserrait son cœur, mais le cours suivant ne lui apporta que lassitude et
regret, et elle fut presque soulagée quand la clepsydre posée sur le grand
coffre de la classe, au-devant de la statue de Thot, annonça la fin de la
journée d’études.
— Maman, peut-on passer par le kiosque du
jardin ?
— Je suis lasse, Rekmirê, je voudrais
rentrer.
— Puis-je rester alors ? Je te
promets que je ne rentrerai pas très tard.
— Non ! Rekmirê, le jour baisse et
je veux que ce soir, tu me tiennes compagnie.
L’adolescent ne protesta pas. Il savait que sa
mère était nerveuse, inquiète, malheureuse. Lui-même ne savait quoi penser de
la disparition de son père. Depuis quelques jours, lui aussi commençait à
désespérer. Certains disaient qu’il était sûrement mort. Le jeune garçon avait
même entendu un mauvais plaisantin affirmer qu’il existait des hommes quittant
volontairement leur foyer pour rompre avec une vie qu’ils n’aimaient pas.
Cette hypothèse lui glaçait le sang. Son père
était incapable de commettre une action aussi basse. Mais alors une affreuse
angoisse le prenait, et il songeait à nouveau à la mort.
Ils passèrent sous les immenses colonnes qui
délimitaient les jardins de l’école et ceux du palais, puis contournèrent en
silence le mur de l’enceinte dont l’une des grandes portes menait à l’annexe où
leur maison s’apercevait derrière la rangée de sycomores qui pointaient haut
leurs cimes dans le ciel.
Au bout de l’allée une forme se dessina.
— Maman, regarde. On vient à notre rencontre.
Qui est-ce ?
Derrière la silhouette élancée qui venait à
grands pas, arrivaient en courant Cachou et Maâthor.
— Quel malheur se prépare-t-il encore ?
murmura Séchât.
La forme se détachait peu à peu des deux servantes
qui, malgré leurs pas précipités n’arrivaient pas à la distancer.
— Mais ! Mais, c’est…
— Maman, c’est Djenani. Que fait-il à
Thèbes ?
Alors, Séchât sut que quelque chose allait se décanter
et qu’elle allait enfin savoir. En un instant, elle s’attendit au pire comme au
meilleur.
Ses pas heurtés la précipitèrent presque dans
les bras de Djenani qui la reçut tendue, nerveuse, inquiète.
— Parle, parle, je t’en supplie !
— Grande Séchât ! Le roi Thoutmosis
m’envoie te dire que ton époux, le médecin Neb-Amon a été enlevé, sans qu’il le
sache, la veille du départ des armées.
— Où est-il ?
— Il soigne les soldats.
Incrédule, Rekmirê avait la bouche ouverte et
ne pouvait en tirer aucun son. Plus choquée
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