L'Ombre du Prince
laissaient si souvent rêveur Thoutmosis.
Tassées dans l’angle de la grande pièce avec
les autres femmes, mère et fille réfléchissaient à de bien différents
problèmes.
L’une pensait au déclin définitif de la
pharaonne si Mérytrê mettait un fils au monde et aux effets fâcheux que cette
naissance allait entraîner. Réactions gênantes non pour son époux, le médecin,
qui semblait s’être attiré les bonnes grâces du futur pharaon, mais pour Satiah
qui ne serait jamais qu’une Seconde Épouse.
Quant à Satiah, sa plaisante et gracieuse
fille à qui elle avait légué sa farouche envie de vivre, elle n’entrevoyait que
le retour de Thoutmosis et l’heure tant souhaitée où il prendrait dans ses bras
musclés, pileux et forts, son corps élancé qui n’attendait que les délices de l’amour.
Certes, toute l’assemblée ici présente, y
compris Antef et les dignitaires qui attendaient à l’extérieur de la chambre
royale, pensaient à l’évidence que l’on se préparait déjà à écrire dans les
annales du palais. Si Mérytrê avait un fils – et Hatchepsout le savait –
Antef et les nouveaux prêtres d’Amon s’empareraient de cet élément pour
consolider la position de Thoutmosis. Si, au contraire, Mérytrê avait une
fille, Hatchepsout aurait encore quelque répit avant de céder sa place à son
neveu, dès son retour à Thèbes.
En regardant Satiah, Séchât vit qu’elle lui
désignait Nebetta du regard. Elle avait repris sa position courbée, mais
relevait la tête et, l’œil vague et imprécis, observait Hatchepsout. Qu’avait-elle ?
Par tous les dieux d’Amon ! Ce n’était guère dans ses habitudes de se
tenir ainsi.
Hatchepsout se tourna vers l’assemblée qui
attendait dans la chambre et reçut les hommages qui lui étaient dus. Le silence
ne dura que le temps des saluts échangés et lorsque la pharaonne se préoccupa
de sa fille, les bruits reprirent de plus belle. Il fallut l’arrivée des trois
accoucheuses royales pour que le calme revînt dans les appartements de Mérytrê.
Car, il était évidemment question d’appartements
entiers. Salles diverses et chambres du palais étant toutes occupées par les
membres d’une société de plus petite noblesse, dignitaires de province,
sous-intendants et directeurs dont les fonctions les laissaient assez éloignés
de Thèbes, venus avec leurs épouses pour célébrer la future naissance.
Dans la chambre royale, les trois matrones
imposèrent le silence. Seul, le bourdonnement de quelques mouches aussitôt
chassées par les grandes palmes des servantes, se fit entendre.
— Qu’on cesse toute agitation inutile,
ordonna l’une d’elles qu’on nommait « La Grande Génisse », car sans
aucun doute sa renommée allait jusqu’au delta du Nil et, visiblement, elle
prenait en main la direction des opérations.
À partir de cet instant, les accoucheuses n’acceptèrent
que murmures et chuchotements.
Sur leurs injonctions brèves et précises, on
apporta des bassines emplies d’eau et on les disposa près de la couche royale
sur des braseros qui furent allumés en un clin d’œil. Ils permettaient de
maintenir l’eau à une ébullition constante, mais provoquaient dans la chambre
une touffeur un peu suffocante que plusieurs femmes ne purent supporter sans
ôter quelques vêtements gênants.
Piles de linge blanc, coussins de soie, couvertures
tissées dans le lin le plus fin, berceau d’osier, grandes fioles de natron pour
éviter la propagation des microbes, rien ne manquait pour la venue de l’enfant.
Les médecins Mekyet et Seddy attendaient dans
le couloir afin d’intervenir en cas de difficulté puisqu’à cette époque la loi
égyptienne interdisait aux médecins d’intervenir lors des accouchements quand
tout se passait bien.
Antef l’Intendant du Palais, Nekmin le Prêtre
d’Amon et Menkeper l’Architecte Royal restaient à proximité, l’œil et l’esprit
en alerte, supputant déjà les avantages d’une telle naissance.
Quand les douleurs de Mérytrê se firent plus
violentes et plus rapprochées, les bruits et les agitations qui, décidément n’arrivaient
pas à s’atténuer – ils avaient repris au premier cri de l’accouchée –
se transformèrent en un long défilé de mots, tous murmurés en paris incertains.
Qui une fille ! Qui un garçon ! Enfin, l’enfant tant attendu allait
arriver.
Hatchepsout gardait son calme habituel. Depuis
que des complots se
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