L'Ombre du Prince
vers Nebetta dont l’attitude
était de plus en plus courbée. Quand tous les regards furent fixés sur elle, la
jeune femme ploya le corps en avant et, sans un cri, tomba sur le tapis, nez
contre le sol.
Un hurlement général se fit entendre. Celui de
Mérytrê, plus puissant encore, fut absorbé dans l’agitation générale. Elle
releva son buste, mais les accoucheuses l’obligèrent à se rallonger.
— Vite, les médecins, cria Séchât en se
précipitant à l’extérieur de la pièce.
— Les médecins ! répéta la pharaonne
dont les mains commençaient à trembler.
— Ils arrivent, Majesté. Ils arrivent !
s’écria Baki.
En courant vers la porte, elle se heurta à
Satiah qui, d’un pas de velours, s’était approchée de Mérytrê. Elle jeta ses
yeux bleus sur elle, non pour la consoler de ses douleurs, mais pour mieux voir
son visage apeuré. Elle était si près de sa compagne qu’elle frôlait les
accoucheuses qui, inquiètes à présent, relevaient les draps pour observer le
ventre distendu de leur patiente.
Quand Satiah croisa les yeux de Mérytrê, elle
y jeta un défi d’une telle portée que l’autre faillit y répondre d’une voix
menaçante. Mais elle se tut et se contenta de gémir. D’ailleurs, arrivaient déjà
Hatchepsout, Séchât et Baki suivies des médecins affolés par l’étrange
dénouement des choses, car à peine eurent-ils retourné le corps de Nebetta qu’ils
en constataient la mort.
Tandis que l’agitation gagnait les pièces attenantes
du palais et que les accoucheuses ne semblaient plus maîtriser leur besogne,
faute d’un ordonnancement traditionnel qui échappait à leur contrôle, les deux
médecins palpaient le corps qui ne respirait plus. Il était mauve, tendu,
raide.
Prenant le parti d’ignorer la présence extrêmement
rapprochée de sa rivale, Mérytrê cria encore. Un hurlement qui perça l’espace
jusque dans les couloirs les plus éloignés du palais.
Puis, prenant conscience que, pour l’instant,
Mérytrê vivait plus fort son mal physique que sa douleur mentale, Satiah s’écarta
pour laisser les accoucheuses faire leur travail. Deux d’entre elles saisirent
les bras de Mérytrê et les retinrent solidement fixés au-dessus de sa tête.
Leïla, la troisième, releva haut ses jambes et tint ses cuisses écartées
pendant qu’Hatchepsout, revenue au chevet de sa fille, balayait son front de
ses doigts amaigris et tremblants.
Comment pouvait-elle ne pas frémir quand elle
savait, à présent, que le poison qui lui était destiné avait été jeté dans la
boisson qu’avait bue Nebetta ?
À nouveau, elle plongea sa main dans l’eau
chaude qui grésillait sur le brasero allumé et, curieusement, ne ressentit
aucune douleur. Au contraire, la brûlure calma son angoisse et elle tourna
essentiellement son esprit sur l’accouchement de sa fille.
Penché sur le visage violet de Nebetta dont la
bouche entrouverte laissait apparaître une mousse blanchâtre, chacun avait
compris que Néférouben, le Grand Sommelier Royal, avait voulu empoisonner
Hatchepsout et que Nebetta avait goûté le breuvage qui ne lui était pas
destiné.
Certes, l’agitation était à son comble et les
accoucheuses ne pouvaient plus maintenir l’ordre et le silence. D’ailleurs, un
autre travail les attendait, car Mérytrê s’affolait en sentant l’enfant remuer
et descendre de plus en plus bas.
Pâle, Séchât ne savait plus qui regarder. Le
pauvre corps tendu et mauve de Nebetta ou celui de Mérytrê qui s’apprêtait à
mettre son enfant au monde.
Se pouvait-il qu’on voulût encore la
disparition d’Hatchepsout ? Et, bien que Séchât fût à présent rassurée sur
le sort de Neb-Amon, elle ne pouvait que trembler en observant le courage et la
vaillance de sa compagne. Hatchepsout essayait de cacher son trouble en aidant
les accoucheuses à lever sa fille afin qu’elle pût accoucher comme la vieille
tradition le réclamait, sans hommes, accroupie sur le sol, les pieds posés sur
les briques que l’on s’apprêtait à disposer en estrade.
Satiah paraissait totalement indifférente,
absorbée par on ne sait quelle idée qui dévorait son esprit. Elle regarda
distraitement les médecins observer le corps de Nebetta, puis se tourna vers
Mérytrê qui continuait à pousser ses hurlements de bête fauve.
— Avait-elle besoin de ce contretemps ?
grommela Souti l’accoucheuse en secouant la tête. Tout se passait pour le
mieux.
— Un
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