L'Ombre du Prince
l’aurait
à coup sûr fait parler. Alors, pourquoi la tenir au courant d’un projet qui à l’avance,
était irrémédiablement voué à l’échec ?
En revanche, Cachou qui n’était pas beaucoup
plus vieille que Satiah avait accepté d’emblée l’aventure. Quelques mots,
quelques propos flatteurs avaient fait leur chemin dans l’esprit de la jeune
esclave africaine qui, chaque fois que l’occasion se présentait, suivait sa
maîtresse comme une ombre.
Certes, Satiah n’avait pas fait du théâtre
pour rien et, dans cette histoire, son jeu était parfait, ses attitudes
impeccablement étudiées et ses gestes aussi naturels que ceux qu’elle
effectuait chaque jour. Quant à ses yeux, s’ils s’enthousiasmaient au moindre
rappel de sa décision, ils ne s’attristaient qu’à l’idée de laisser seuls sa
mère et Rekmirê.
Ces quelques instants de remords s’étouffaient
pourtant assez vite lorsqu’elle pensait à la grande feuille de papyrus sur
laquelle elle avait déjà tracé son message. C’était certes l’élan chaleureux,
sincère d’une fille aimante pour sa mère, mais c’était plus encore un cri d’amour
envers son bien-aimé qu’elle voulait rejoindre au plus vite.
Cachou, que Satiah avait tenu au courant
depuis le début de son projet, avait ri et battu joyeusement des mains comme
une enfant à qui l’on donne un jouet merveilleux. Cachou n’était pas compliquée
et Satiah avait su ficeler parfaitement l’affaire. La jeune Africaine s’était
laissée emporter par la séduction des mots et la couleur des propos avec des
yeux étonnamment naïfs qui plaçaient tous les espoirs, même les plus précaires,
au-devant de toutes possibilités.
Tout était préparé, minuté, huilé jusqu’à l’infime
détail qui rendait l’atmosphère inchangée, l’engrenage de la mécanique du temps
et de ses rites infaillible. Le baiser que la jeune fille avait donné la veille
à sa mère n’avait nullement attiré l’attention de celle-ci et quand Rekmirê lui
avait raconté l’anecdote de l’essieu cassé de son char, Satiah avait écouté
avec application, posant même les questions qui prouvaient l’intérêt qu’elle
portait à l’histoire de son frère.
Quant à Maâthor, elle s’était juste étonnée de
voir sa protégée s’endormir aussi tard. Depuis longtemps, Satiah aimait se
lever tôt, courir en char le long du Nil et musarder avec ses chevaux favoris.
Mais en revanche, elle ne se couchait jamais plus tard que le dernier rayon du
jour, celui qui annonçait la douzième heure sur les clepsydres.
Mais, ce soir-là, un petit brin de paille
enraya quelque peu le plan de Satiah. Maâthor était sur ses talons et semblait
ne pas vouloir la lâcher, lui rappelant sans cesse ses devoirs et ses
obligations du lendemain.
Quand chacun fut endormi, Maâthor la suivait
toujours, s’étonnant du prétexte qu’elle avançait pour ne pas se coucher.
Satiah dut lui faire absorber un peu d’hellébore et de gentiane dans la tisane
qu’elle prenait chaque soir juste avant de s’endormir. Connaissant les doses,
elle fit en sorte que sa servante ne puisse s’éveiller avant le premier rayon
solaire.
Dès que Maâthor eut sombré dans les profondeurs
d’un rêve bien étrange qui la laissait béate d’inconscience, Cachou sauta de sa
paillasse pour préparer la sacoche qui devait enfermer les victuailles pour la
route.
Il fallut encore que Rekmirê se relevât pour
contrarier le bon ordonnancement du départ. Mais, les yeux embués de sommeil, l’adolescent
ne s’étonna pas que sa sœur soit levée et se dirigea tranquillement vers le
cabinet d’aisances pour se soulager. Aucun doute n’avait effleuré son esprit et
la jeune fille avait poussé un tel soupir que son cœur en battait encore.
Enfin, tout était prêt. Satiah sentait sa tête
bourdonner de mille petits bruits curieux. Son dernier geste avait été celui de
laisser le papyrus à sa mère. Elle savait que Séchât comprendrait le motif qui
la poussait à vouloir profiter du retour de Thoutmosis sans devoir le partager
avec Mérytrê.
Elles étaient parties dans la nuit, alors que
l’air soufflait une brise fraîche dans le feuillage des sycomores et des grands
palmiers-dattiers qui bordaient l’allée de la résidence. Au loin, le lac bordé
de marbre rose miroitait sous une lune qui plaquait ses reflets blanchâtres
entre les nénuphars où quelques libellules folâtraient en silence, attendant
que
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