L'Ombre du Prince
invisible, il fit une injection de bryone
en prenant soin de minimiser la dose, car le remède était aussi un poison
mortel.
L’effet fut presque immédiat et Neb-Amon sentit
des suées froides assaillir son front. Puis, sa peur disparut peu à peu. Était-ce
la chance qui le servit à cet instant précis plutôt que l’expérience qu’il
avait à manipuler les doses de ce poison-remède ? Une infime partie en
moins n’aurait eu aucun effet, une infime partie en plus tuait à coup sûr la
blessée.
Neb-Amon passa la main sur son front. Il était
encore moite. Puis, il s’assura de l’agitation, faible encore, qui s’expulsait
du buste mince de Mérytrê, amorçant un souffle léger au travers de ses lèvres
crispées.
Un grand bond se fit en lui, comme un claquement
sec qui le rappelait à l’ordre. Il venait de sauver la pure descendance des
Thoutmosides.
CHAPITRE II
Méryet s’avança, légère et gracieuse.
À présent qu’elle savait complètement lire et
écrire, qu’elle connaissait les hiéroglyphes les plus compliqués, qu’elle pouvait
aligner, ajouter, soustraire tous les chiffres pour les compter sans erreur,
elle se sentait invulnérable. Plus audacieuse encore que le jour où, abattant l’arête
tranchante de son petit tambourin sur le scorpion qui s’apprêtait à piquer
Hatchepsout, elle s’était jetée dans l’incertitude de l’instant.
Séchât avait su l’initier aux enseignements
les plus ardus, lui avait inculqué l’art du calcul et du dessin, l’avait amenée
à préférer la lecture aux divertissements sportifs, sans pour cela mutiler les
longues heures qu’elle passait pour assouplir son corps.
À l’ombre de la colonne de pierre, Hapouseneb
la regarda s’approcher.
Depuis le départ d’Isis, la danseuse sacrée du
temple qui, par désespoir d’amour, avait quitté le saint lieu pour s’enfermer
au harem, il n’avait jamais vu d’aussi brillante danseuse.
Il est vrai que la trahison d’Isis – selon
les propres termes du vieux prêtre Sétoui qui avait haussé sa nièce au rang le
plus élevé des danseuses – avait déplu aux dieux. Et, devant l’incompétence
des hommes à trouver l’équivalence d’Isis, ils se contentaient, depuis presque
une décennie, du talent inférieur des secondes danseuses.
Isis partie, le vieillard s’était aussitôt
désintéressé de l’affaire et, plus désabusé encore, voyant que son ami le
pharaon en avait fait sa Seconde Épouse, il s’était enfermé dans ses
appartements, n’en sortant plus que pour accomplir les rites qu’exigeaient les
fêtes sacrées du temple.
Passées les premières rancœurs, le vieux
prêtre s’était calmé. Mais, comment pouvait-il remplacer l’amour maternel dont
sa nièce avait été investie après avoir mis au monde le petit bâtard du
pharaon, le troisième Thoutmosis qui grandissait dans l’ombre d’Hatchepsout ?
Une danseuse sacrée devenue concubine !
Une vierge du temple devenue mère ! À nouveau, le vieux prêtre avait été
frappé de désespoir. Il en était mort de chagrin, de dépit, de rage contenue.
Hapouseneb observa quelques instants Méryet.
Elle avait relevé ses épais cheveux noirs en un lourd chignon tenu par une
tresse dorée recouverte de petites perles d’or. Elle portait souvent ce ruban,
car c’était un cadeau d’Hatchepsout, la reine.
— Veux-tu que je danse pour toi, Grand
Hapouseneb ? fit-elle en inclinant son buste.
— Je n’osais te le demander.
Elle regarda de ses grands yeux verts allongés
la silhouette harmonieuse d’Hapouseneb. Il était grand, ne portait pas d’âge,
car son crâne rasé lui ôtait les années qu’il pouvait avoir en trop aux yeux de
la jeune fille.
Hapouseneb se tenait devant elle. Une séduction
étrange se dégageait de lui, allant du fond de son œil allumé de braise jusqu’à
la pointe de ses pieds nus manucurés qui balayaient silencieusement le sol.
Méryet lui sourit. Avec réserve tout d’abord,
puis avec une pointe d’audace ensuite, mêlant le piquant de ses yeux verts au moelleux
de ses lèvres charnues et roses.
Puis, la jeune fille figea son sourire. N’allait-elle
pas au-devant de quelques complications ? Certes, Hapouseneb avait du
charme avec son torse puissant et nu et ses hanches étroites recouvertes d’un
pagne long en peau de léopard.
— Vous n’avez rien à me demander, mon
maître.
Il haussa le sourcil.
— Rien ! Le crois-tu vraiment ?
Elle ne
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