L'Ombre du Prince
telle fureur, un tel abandon de tout contrôle qu’elles ne
purent, en aucun cas, remarquer l’ombre qui glissait à leur côté.
Un pas souple, agile, silencieux, un souffle
presque inexistant, un sourire fantomatique les frôla pourtant de si près qu’elles
auraient pu flairer le parfum de myrrhe qu’il laissait derrière lui.
L’ombre du dieu Seth, sans doute ! L’ombre
néfaste et dévastatrice de celui qui cherchait à corrompre le Grand Prêtre, le
Tout Puissant du temple, celui dont l’épouse même assommait à l’instant sa
rivale.
Petite, difforme, bleuissante dans le halo de
lumière qui tombait sur le sol, l’ombre n’en était plus une. Memphès, le nain
de Karnak se faufilait devant elles.
Ses bras rétrécis cachés dans ses manches et
ses courtes jambes dissimulées dans sa tunique dont l’extrémité balayait le
pavé du temple, Memphès regardait de ses yeux torves les deux formes féminines
allongées à terre. L’une cognait l’autre de ses poings fermés.
Memphès allongea son cou – il en avait si
peu que ses épaules semblaient s’encastrer dans sa tête – puis, sortant un
bras de sa tunique, il esquissa dans l’air un grand signe et le vieil Horemm, l’eunuque
du harem, s’approcha de lui à pas feutrés.
Dehors, tapi contre le socle d’une statue en
réparation, Nekmin, le Second Grand Prêtre, attendait.
*
* *
Depuis quelque temps, les contractions de
Séchât se rapprochaient de jour en jour. Satiah ne la quittait plus, étonnée,
tout à coup, qu’un événement essentiel vînt soudain éclairer la vie de sa mère
et la sienne.
D’un moment à l’autre, Neb-Amon allait venir.
Une secousse vint foudroyer Séchât et elle
resta anéantie, pantelante. Satiah regarda les accoucheuses avec effroi.
L’une d’elles lui cala un coussin derrière la
tête. Soudain, Cachou accourut et s’arrêta devant Satiah qui tenait la main de
sa mère.
— Voici le Maître. Il va mettre le bébé
au monde.
Séchât sourit. Elle vit Neb-Amon s’approcher d’elle.
Il releva le linge qui recouvrait son ventre et appuya doucement sur la rondeur
excessive, tendue, durcie. Mais Séchât resta sereine et le sourire qu’elle
avait esquissé à l’arrivée de son époux fendit tout son visage.
— Je crains bien que ce ne soit pas
encore le moment.
— Mais, tu souffres ! cria Satiah en
regardant le ventre distendu de sa mère.
— Ce n’est rien. Cela va passer.
Satiah approcha sa main. Neb-Amon la lui prit
et la posa là où il sentait bouger l’enfant tout à l’heure.
Depuis quelque temps, Satiah avait perdu l’agressivité
qu’elle montrait à son beau-père, grâce aux efforts de celui-ci.
Un soir, alors que Séchât était rentrée tardivement
de la bibliothèque du Palais pour en ramener quelques textes indispensables à l’enseignement
qu’elle donnait à ses élèves, la fillette était restée seule avec lui.
Le médecin avait tout simplement parlé de ses
malades, et plus précisément de ceux qu’il soignait avant d’avoir été remarqué
par Sa Majesté Hatchepsout, Pharaon des deux Égyptes. Ceux-là n’étaient que les
plus pauvres et les plus déshérités de Thèbes.
Le récit du médecin avait touché la
sensibilité de l’adolescente et mise au-devant d’un examen de conscience.
Depuis, sa rancune était tombée.
— Le bébé bouge beaucoup, dit-elle en
sentant les heurts de l’enfant contre la peau tendue du ventre de sa mère.
— Oui ! Mais il ne viendra pas avant
l’aube, assura le médecin.
— En es-tu si certain ? répliqua
gauchement Satiah.
À nouveau Cachou arrivait. Pressée,
essoufflée, le cœur battant à l’idée que l’enfant allait naître.
— Maître, Maître ! fit-elle en
ouvrant ses grands yeux sombres. C’est affreux, on vous réclame à l’hôpital.
Elle regarda Séchât d’un air éploré.
— Et le bébé qui va sortir, ajouta-t-elle
en se frottant les yeux d’un revers de main.
— Allons, fit Neb-Amon en riant, tu ne
vas pas pleurer pour ce petit incident-là.
Il frappa dans ses mains et les accoucheuses s’approchèrent,
portant des linges propres et une grande cuvette d’eau qu’elles disposèrent sur
un brasero dissimulé au fond de la pièce pour entretenir l’ébullition
indispensable de l’eau.
Neb-Amon avait des règles d’hygiène très
strictes. Il exigeait que l’on apportât un minimum de précautions dans chaque
maison qui en avait les
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