L'Ombre du Prince
harem.
Ce fut alors une envolée grandiose. C’est à
peine si elle prit le temps de prendre congé de ses amis et de voir au passage
Isis, la mère de Thoutmosis, qu’accompagnaient la vieille Moutnéfer et deux de
leurs suivantes.
Elle courait à perdre haleine au-devant d’une
Maâthor qui s’essoufflait à la suivre, traversant les jardins, les cours
intérieures, passant devant les salles communes, les salles de réception, d’audience,
celles de musique et de danse.
Devant le logement qu’elle partageait avec Maâthor
et deux autres servantes, Satiah arriva échevelée et haletante pour se jeter
dans les bras de sa mère.
Depuis plus de dix ans qu’elle sillonnait l’Égypte
pour accomplir les missions d’Hatchepsout, Séchât avait tant de choses à
rattraper avec sa fille qu’elle ne savait jamais comment les aborder. Cette
fois, pourtant, tout était décidé, ordonné, précis.
Rieuse et pleine d’entrain, Satiah s’écarta de
sa mère. Elle s’apprêtait à jeter un déluge de paroles, quand ses yeux
tombèrent sur les bagages accumulés au pied du mur de son logement.
— Nous partons, ma chérie.
— Nous partons, répéta Satiah sans comprendre.
Des étoiles d’espoir brillaient dans les yeux
de Séchât. Enfin, sa grande fille lui appartenait. Après tout ce temps d’incertitude
et de travail. Elle pouvait se consacrer toute à elle.
— Mais, où va-t-on ? fit encore
Satiah incrédule.
— Chez nous, ma chérie. Là où nous allons
vivre désormais. Là où je vais élever ton frère… ou ta sœur. Enfin, nous allons
être en famille.
Elle vit sa fille ouvrir des yeux démesurés,
rougir, puis pâlir et soudain, après l’explosion de joie qu’avait suscitée
Maâthor en annonçant l’arrivée de sa mère, ce fut un violent débordement de
colère.
— Je ne veux pas te suivre !
cria-t-elle. C’est ici que je préfère vivre. Je n’ai pas attendu après toi pour
être heureuse, avoir des amis, être consolée quand j’avais de la peine ou rire
quand j’étais contente.
— Mais… fit Séchât.
— Je refuse de te suivre. Je refuse cet
enfant que tu portes dans ton ventre. Il n’est pas de mon père ni de mon sang.
Il est en dehors de mes envies et de mes espoirs.
Elle tapait du pied et s’étouffait tant elle
suffoquait en parlant. Ses yeux étaient noirs et colériques et ses joues plus
cramoisies qu’une grenade trop mûre.
— Je ne veux pas de cet enfant et je ne
veux pas d’un autre père que le mien ! cria-t-elle.
Elle toussa et frappa de nouveau le sol de son
pied rageur.
— Et surtout, je ne veux pas bouger d’ici.
Maâthor la secoua pour tenter de lui faire retrouver
ses esprits. Séchât voulut la prendre contre elle, mais l’adolescente la
repoussa violemment.
Séchât vacilla. Soudain, elle se rappelait les
rires brusques de l’enfant, ses éclats joyeux et ses yeux flamboyants de gaieté…
Elle se rappelait aussi ses caprices et ses soudaines colères lorsqu’elle
réclamait le sein de sa nourrice ou la toilette de son petit corps souillé ou
tout simplement, la caresse du vent sur ses joues roses et satinées. Des
moments si rares que la mère avait vécu avec la fille.
Anéantie, déstabilisée, Séchât reprit ses
esprits.
— C’est pourtant un père que, dorénavant,
tu trouveras à tes côtés, ainsi qu’un autre enfant dont je serai la mère.
— Je n’en veux pas. Je ne veux rien de
toi. Tu pars, tu m’as toujours laissée seule et maintenant que tu réapparais,
toi la Grande Scribe, il faudrait que j’accepte tes idées soudaines, tes
désirs, tes dernières fantaisies ?
La fureur emplissait ses yeux et ses pieds irrités
continuaient à frapper le sol. Séchât fit signe à Maâthor de saisir les
bagages.
— J’ai beaucoup de choses à te dire, ma
chérie, dit-elle à sa fille d’un ton calme. Ou bien je te les annonce par
petites doses et tu les assimiles une par une, ou bien je te jette tout en
bloc. Que préfères-tu ?
Mais, c’est à peine si la fillette l’écoutait.
Alors qu’elle trépignait toujours de rage, une litière s’avança et une petite
Africaine en sortit.
— C’est Cachou, fit-elle.
L’adolescente avait presque son âge. Elle
portait un pagne court sur sa peau noire et mate qu’un torse nu rehaussait de
deux petits seins déjà parfaitement galbés. Un arc de sourcils épais surmontait
un regard naïf et ses cheveux longs et crépus s’entremêlaient d’une
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