L'Ombre du Prince
Mais,
Amenhotep le lui jetait avec tant de haine qu’elle se sentit obligée de se
défendre.
— N’as-tu jamais connu la faim et la peur ?
dit-elle posément.
— Je n’ai connu et ne connais qu’un homme
que tu ne me prendras pas, persifla-t-elle.
Puis, elle gifla Méryet.
Sous le choc, la jeune fille chancela. Mais,
elle se rattrapa promptement, car la souplesse restait son atout essentiel et,
en une seconde, elle vint détendre ses jambes comme un ressort sous le nez de
sa rivale. Une pirouette très élastique qui déstabilisa Amenhotep.
— Et voilà ! fit-elle en riant.
Jamais tu ne pourras faire ça. Et si ta croupe ne suffit pas à ton époux,
apprends que la mienne ne lui appartient pas encore.
Ahurie, Amenhotep plissa les yeux.
— Qu’y puis-je si ton mari me désire ?
jeta Méryet en élançant sa jambe et son bras gauche dans les airs comme si elle
voulait décrocher un astre du ciel. Qu’y puis-je ?
Elle sauta sur le sol dans un bond de chat qui
fit vibrer la lueur de la torche leur faisant face.
Pénétrant dans le temple, Amenhotep la suivit.
— Je vais te casser net, petite ordure !
cria-t-elle en écoutant sa propre voix faire écho dans la chambre d’Hathor que
quatre immenses colonnes de marbre soutenaient de toute leur prestance.
— Tu oses me traiter de petite ordure,
quand toi, pauvre musicienne sans talent, tu n’es qu’une bourgeoise médiocre
doublée d’une catin qui, pour s’accorder les faveurs d’un Grand Prêtre, s’est
jetée dans son lit avant même qu’il te connaisse !
— Qui t’a dit cela ?
— Probablement les mêmes gens qui rapportent
que je suis une putain. Ils disent que tes élans sont ceux d’une fille de bar,
tes yeux ceux d’une quémandeuse d’amour et tes fesses celles d’une chatte en
chaleur.
Ce n’était pas le vocabulaire cru qui faisait
peur à Méryet. Trop de réminiscences sur sa triste adolescence remontaient en
elle. Pourtant, posant son regard sur la statue de la déesse Hathor, elle se
dit que ses rêves étaient réalisés et qu’elle ne devait plus s’abaisser pour se
disculper face à plus bas qu’elle.
Désormais, Méryet avait reçu instruction, éducation,
savoir-vivre. Elle était belle, intelligente, sensible. Elle comptait des amis
sincères pour lesquels elle éprouvait une réelle affection et envers qui elle
rendait une fidélité exemplaire, à commencer par la pharaonne qui l’avait
engagée au temple, Séchât qui lui avait appris à lire et à écrire et surtout
Hapouseneb le Grand Prêtre.
Mais, en quelque sorte, Amenhotep avait raison
de déclencher sa fureur et ses propos grossiers sur elle.
Depuis son arrivée au temple, Hapouseneb avait
été subjugué par sa beauté et la distinction de ses danses. Peu à peu, il avait
recherché son sillage, arrivant tel un chat silencieux lorsqu’elle était au
temple, en prières devant l’autel qui honorait un dieu. Durant de longs mois,
Méryet avait scrupuleusement repoussé les discrètes avances du Grand Prêtre
jusqu’au jour où celui-ci avait pris ses lèvres entre les siennes et ne les lui
avait rendues que bien plus tard.
Mais, ce n’était pas chose facile que de partager
sa couche et, malgré toutes les calomnies qui couraient sur son compte, la
jeune fille se trouvait toujours vierge.
— Sors de ce temple ! cria
Amenhotep.
— Jamais.
À nouveau, elles se faisaient face, prêtes à
s’étriper.
— Tu as trente ans, insinua Méryet. J’en
ai seize. Tes reins sont ankylosés, les miens sont souples. Et, si tu t’opposes
à mon entrée dans ce temple, je vais te battre et tu vas te retrouver aplatie
sur le pavé comme une vieille galette molle que tu es.
Amenhotep se rua sur elle et lui tira si violemment
les cheveux que le lien de perles qui enserrait ses nattes lui resta dans la
main. Elle le jeta par terre d’un geste irrité et y posa le pied pour l’écraser.
Un instant, les petites perles crissèrent sous
le talon rageur de la jeune femme et quand elle le releva, elles n’étaient plus
que l’ombre d’elles-mêmes, laissant sur le sol des débris de verre colorés, des
fragments de fils d’argent, un désastre aux yeux de la jeune danseuse. Le bijou
était un présent que lui avait fait Hatchepsout. Méryet restait ahurie. Ses
yeux se continrent quelques secondes, puis un voile rouge et violent vint les
obscurcir. Alors, dans un assaut mutuel, elles s’empoignèrent dents et ongles
sortis, avec une
Weitere Kostenlose Bücher