L'Ombre du Prince
aroures reçoit de son père en héritage 25
aroures. La crue du Nil insuffisante a engendré une sécheresse qui n’a pas
permis au limon de fertiliser 15 aroures. Combien d’aroures, cette année-là,
lui rapporteront le blé qu’il attend ?
Le petit Seneb rehaussa son buste nu et répondit
précipitamment :
— Dix aroures, Grand Maître.
— Allons, Seneb, tu réponds trop vite. Tu
n’as pas réfléchi.
Elle se pencha sur Djéhouty :
— Et toi, as-tu réfléchi ?
— Soixante aroures, Grand Maître.
— Bravo, Djéhouty, fit Séchât. Tu seras
un bon mathématicien. Maintenant prenez vos plaquettes et tracez les lettres de
votre alphabet. Je veux des dessins parfaits, nets et sans bavures.
Elle regarda Djéhouty et lui sourit. À vrai
dire, elle ne s’attendait pas à une réponse aussi exacte. L’avait-il faite au
hasard ? Ce petit calcul était d’un niveau supérieur. Et, bien que Djéhouty
sache déjà compter sur ses doigts, elle ignorait qu’il pouvait déjà effectuer
additions et soustractions.
Son regard se tourna un instant vers les
casiers creusés dans le mur qui enfermaient ses documents scolaires et elle
pensa au plan des nécropoles dérobé. Un point délicat qu’il lui fallait
éclaircir au plus vite.
— Thoutmosis, dit-elle. Lève-toi et
parle-moi du rôle du Temple Égyptien sous toutes ses formes.
Elle vit que sa fille était distraite. Pour
elle, le rôle du Temple Égyptien importait peu. Elle fixait intensément
Thoutmosis qui, mû par un réflexe soudain, précipita ses prunelles dans les
siennes. Puis, Séchât se tourna vers Mérytrê et assista au court et silencieux
affrontement des deux adolescentes.
Leurs yeux se défiaient, crachant un même désir
de plaire au jeune homme.
Quelques instants, leurs trois comportements
se moquèrent des présences avoisinantes. Dans l’attitude de Mérytrê, il y avait
cette certitude d’être bientôt la future Grande Épouse du pharaon. Dans celle
de Satiah, il y avait l’assurance du pouvoir de séduction qu’elle exerçait
depuis toujours sur le jeune prince.
Séchât soupira. Un léger souffle lui entrait
par les narines et se diffusait lentement dans son corps. Elle fixa de nouveau
sa fille. Dieu ! Qu’elle paraissait amoureuse de Thoutmosis ! Quelle
vie se préparait-elle donc dans la peau d’une Seconde Épouse ?
— Lève-toi Thoutmosis et donne-moi ton
avis sur le rôle du Temple Égyptien.
Le jeune homme se leva. Son torse était celui
d’un adulte. Sa carrure celle d’un lutteur, son maintien celui d’un sportif de
compétition. À voir son visage déterminé, conquérant, déjà maître de lui,
Séchât comprenait les appréhensions et les angoisses d’Hatchepsout. Certes, il
était facile de s’imaginer détrônée devant un tel adversaire.
— Le rôle du Temple Égyptien consiste à
former les individus pour atteindre un idéal.
— À former seulement ? Crois-tu donc
que l’on peut accepter au Temple n’importe quel individu ?
— Non bien sûr, répliqua aussitôt
Thoutmosis. On doit les sélectionner.
— Parfait. Mais qui va-t-on sélectionner ?
— Ceux qui en sont capables.
— Capables de quoi ?
— Euh…
— Le rôle et la mission des Temples de l’Égypte,
reprit Séchât, consiste essentiellement à choisir et édifier des êtres vivant
ici-bas capables d’aspirer à l’idéal de l’au-delà.
Elle regarda Amtou, puis se plaça devant lui :
— Voyons, peux-tu me dire par quels
moyens on peut élever l’esprit à cet idéal ?
— La sagesse.
— Bien ! Mais encore. Amennheb ?
— Les connaissances.
— C’est évident. De quelles connaissances
parles-tu ?
— Euh ! Toutes.
Un rire général accueillit la réponse.
— Encore une évidence, Amennheb, qui ne t’honore
guère.
— L’éveil de la conscience, jeta
Thoutmosis.
— Et les facultés d’observation et de
discernement, ajouta Séchât. Bien, Thoutmosis. Tu sembles comprendre à peu près
le sujet. Mais, n’oublie pas que le programme d’un être d’élite passe avant
tout par la notion des responsabilités, la sagesse et encore plus par la
noblesse et la simplicité du cœur.
Un bruit léger les fit tous se retourner. Une
jeune fille d’une grâce extrême entrait. Ses jambes, ses bras, le maintien de
son cou et de ses épaules affirmaient une rare distinction, celle de toutes les
danseuses sacrées d’Amon.
Sans rien dire, elle alla se prosterner
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