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L'Ombre du Prince

L'Ombre du Prince

Titel: L'Ombre du Prince Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jocelyne Godard
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détresse de ces pauvres bêtes poursuivies par les flèches des
archers, impuissantes et apeurées.
    — Ce n’est guère l’objet de mes loisirs,
Prince.
    — Alors, me permettras-tu d’emmener ta
fille ?
    — Ma fille ?
    — Celle de ton épouse.
    — Ah ! Satiah !
    Thoutmosis se mit à rire.
    — Je lui ai promis, fit-il en
ralentissant son attelage. Tiens ! Regarde, nous sommes presque à Bouhen.
    La crue tardait toujours et l’air devenait de
plus en plus suffocant, laissant les gorges asséchées et les fronts moites de
sueur.
     
    *
    * *
     
    Ce matin-là, l’assemblée se réunit hors du
Palais de Thèbes sans la participation d’Hatchepsout.
    Le vieil Antef présidait la séance. Entouré de
Nekmin et de Menkeper, il observait en silence les deux nouveaux arrivés.
    Le plus grand avait un visage glabre, le
menton et les pommettes saillantes, les sourcils fournis et ombrageux tombant
sur un front bas. Ses yeux petits et noirs jetaient sur les autres des éclats
soupçonneux comme s’il suspectait l’assemblée entière. Maigre, vêtu d’un court
pagne blanc avec un devanteau amidonné et plissé, Mériptah dégageait un mélange
d’hypocrisie et d’arrogance que, certes, il ne cherchait pas à atténuer par la
maîtrise de ses gestes.
    L’autre était plus petit, plus rond de taille.
Au centre de son visage brun, buriné par un soleil auquel il n’avait pu
échapper, poussait un long nez busqué qui lui servait à flairer la moindre
anomalie. Bien que dissimulateur, ce large visage paraissait plus avenant que
celui de son compagnon et, dans ses yeux, glissait de temps à autre un soupçon
d’humour, peut-être aussi un brin de fatalisme que, certes, son ami était loin
de posséder.
    Ses yeux se plissaient comme ceux du vieil
Antef. Mais, le regard de l’intendant du harem restait dur et intransigeant,
alors que celui d’Ouser glissait de perpétuelles œillades de complaisance à
tous ceux qui l’interrogeaient.
    — Votre mandat d’ambassadeur terminé, il
me semble que vous n’avez plus la main mise sur les affaires de l’intérieur,
prononça Nekmin d’un ton sec.
    — Ceci est une chose, répliqua Menkeper.
Mais il en reste une autre et ce n’est pas la plus mince. Depuis longtemps,
vous n’avez pas tenu de rapports intimes avec le prince.
    — Nous le connaissions bien, rétorqua
acidement Mériptah.
    — Il était enfant, alors !
    Ouser redressa son buste replet et son grand
nez frémit d’impatience.
    — Il était enfant, oui. Mais il se
souvient fort bien de nous. Car, avant de partir dans les Pays du Nord où nous
tenions notre ambassade, c’est grâce à nous si le prince avait déjà une équipe
de jeunes nobles thébains à ses côtés. Ose prétendre le contraire, Antef !
    — Vrai, fit le vieil homme.
    — Si, aujourd’hui, Thoutmosis dispose de
compagnons qui lui seront fidèles quoi qu’il arrive…
    Ouser fit un large geste de la main englobant
la salle entière et poursuivit :
    — Et je cite ses compagnons, les jeunes
Amennheb, Amtou, Néférouben et même toi, Menkeper, car tu n’es guère plus âgé
qu’eux, c’est grâce aux pions que nous avions habilement mis en place.
Thoutmosis nous en sera toujours reconnaissant.
    — Et si nous n’avons pu poursuivre notre
tâche, ajouta Mériptah, c’est que sa chère tante, usurpant odieusement le
pouvoir, nous a jetés hors du pays.
    — Avec titres et honneurs à l’appui,
susurra Menkeper. Ce n’était pas négligeable.
    — Manquerais-tu, toi aussi, de titres et
d’honneurs ? rétorqua Ouser. Il me semble que ton rang d’architecte n’est
pas dévalorisé par ton extrême jeunesse. En principe, un grand architecte n’est
reconnu que plus tard, lorsqu’il a pu démontrer la valeur et l’importance de
ses travaux.
    Il se leva et se dressa devant Menkeper :
    — Qu’as-tu fait jusqu’à présent, à l’exception
d’une ou deux petites villas à quelque obscur dignitaire de province ?
    Menkeper rougit et ne répondit pas. Ouser se
tourna vers les autres, le geste toujours éloquent.
    — Mes amis, ne jalousons pas nos titres
respectifs. Il me semble que nous sommes rassemblés pour tout autre chose.
    — Ça, nous le savons, répliqua Nekmin en
se redressant à son tour. Alors, toi dont l’intelligence semble dépasser celle
des autres, que proposes-tu puisque Hatchepsout ne veut pas abdiquer ?
    — L’éliminer !
    Nekmin siffla entre ses dents.
    — Rien que ça.

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