L'Ombre du Prince
façon dont
Maâthor s’y prenait pour apaiser sa fille. Le moindre de ses gestes, la plus
infime de ses paroles détendaient automatiquement Satiah. La jeune fille
acceptait n’importe laquelle de ses remarques.
— Seulement ses deux capitaines ? s’étonna
Séchât. Mais, voilà qui tranche d’un coup notre malentendu. Ces deux hommes et
ton prince, ma fille, sont mes hôtes à Bouhen.
— Les coursiers ont annoncé autre chose,
fit Maâthor en lâchant le menton de Satiah qui, soulagée, souriait un peu
béatement.
Surprise, Séchât regarda sa servante, mais les
yeux de celle-ci lançaient une telle lueur de gaieté que son cœur bondissait
déjà de joie.
— Neb-Amon ? exulta-t-elle.
— Oui. Il est avec le prince.
— Vite, préparons un grand festin. Il
faut que tout soit parfait. Tu vois, ma fille, tout s’arrange. Nous dînerons
sur la grande terrasse du verger. Pour l’instant, les sauterelles qui viennent
du désert s’y aventurent moins qu’ailleurs.
— Maman, Thouty aime l’oie rôtie et
farcie aux figues, les poireaux macérés dans le vin de palme, le jarret de bœuf
grillé aux olives, la sarcelle aux choux servie avec du lait caillé.
Séchât se mit à rire tant sa fille débordait
soudain de légèreté et d’insouciance. Elle sautillait et s’agitait comme une
fillette.
— Et les poissons ? Qu’en fais-tu
donc ? Nous lui servirons nos merveilleuses tanches dorées qui abondent
par ici et nous les cuisinerons saumurées avec des œufs de mulets. Qu’en dis-tu ?
— Splendide, fit la jeune fille en
plaquant un baiser sur la joue de sa mère.
— Il faudra nettoyer le grand fourneau
mobile en poterie. L’air y circule mal. Je sais, Maâthor, que tes filles de
cuisine manient bien l’éventoir, mais ça ne fait pas sérieux. Je veux qu’à
Bouhen tout soit parfait.
— Tout, s’écria Satiah ravie. Tout. Tu
entends ça, Maâthor. Maman a dit tout !
« Par tous les Dieux d’Égypte !
songea Séchât, qu’il était pourtant facile de contenter Satiah. » Il
suffisait qu’on encense le prince, qu’on le cajole, qu’on le porte au plus
haut, qu’on l’élève devant sa fille et elle était heureuse.
— Tu feras vérifier par les cuisiniers que
le charbon de bois est en quantité suffisante et que les fourneaux à pain, les
réchauds et les grilloirs sont dans un état de propreté impeccable.
Elle prit le bras de Maâthor.
— Viens, nous allons donner toutes ces
instructions aux cuisines. Il faut sortir les coupes d’argent, la vaisselle d’albâtre
et celle en poterie peinte et, surtout, il faut veiller à ce que l’eau
rafraîchisse dans les zirs.
— Mais, maman, comment allons-nous faire
avec toutes ces mouches qui nous infestent depuis que nous sommes arrivés ?
— Il suffit de bien boucher les zirs.
Nous écarterons facilement les mouches. Ce sont les sauterelles qui m’inquiètent.
Elles sont de plus en plus nombreuses. Et cette crue qui se fait éternellement
attendre. Qu’avons-nous fait aux dieux pour qu’ils nous punissent de cette
manière ?
*
* *
Hatchepsout s’allongea. Cette nuit solitaire
et trop chaude l’avait épuisée. La crue qui tardait allumait en elle de
nouvelles angoisses.
Depuis plusieurs heures, Yaskat et ses
servantes s’évertuaient à écarter les mouches qui pénétraient à l’intérieur de
sa chambre. En désespoir de cause, elles avaient obstrué les ouvertures avec
des voiles de papyrus mais, bien que la texture de ceux-ci restât très légère,
elle empêchait Hatchepsout de respirer pleinement.
— Yaskat, évente-moi avant qu’Ouser
arrive. Lorsque je serai plus dispose, je rejoindrai la petite salle d’audience.
— Il vous attend déjà, Majesté.
— Et bien ! Qu’il attende encore.
Quand tu auras rafraîchi mon corps, j’irai le retrouver.
Lasse, elle soupira.
— Un massage vous fera le plus grand
bien, Majesté et un parfait maquillage vous redonnera la splendeur de votre
silhouette.
— Ah ! Yaskat, fit-elle en soupirant
tristement. Pourquoi Senen m’a-t-il trompée ainsi ? Depuis qu’il n’est
plus là, je n’ai plus le goût de régner.
— Il faut reprendre espoir, Majesté. Le
Grand Senenmout n’est pas indispensable. Il vous reste des amis.
— Si peu, Yaskat. Si peu. On agresse le
Grand Prêtre d’Amon comme on m’agresse moi-même.
— Et les autres ?
— Si le Grand Trésorier me reste fidèle,
il se tourne aussi vers les
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