L'Ombre du Prince
réparer leur essieu ni même celle d’avancer plus loin dans le désert.
Allongés sur le sable, le visage tourné vers le sol pour éviter que le soleil
brûlât leurs yeux devenus fragiles, ils rêvaient aux jours bienheureux qu’ils
avaient vécus l’un et l’autre quelque temps plus tôt.
Neb-Amon pensait à Séchât et à son fils qui
chaque jour grandissait en intelligence et en sagesse et Nedjar tournait ses
esprits vers la jolie Nubienne qu’il avait su convaincre de ses assauts
amoureux, juste avant de partir avec son maître, le médecin.
C’est à peine si, maintenant, les deux hommes
songeaient à écarter d’eux les mouches qui, par nuées entières, les
enveloppaient et encore moins à lever le visage pour observer les vautours qui
planaient silencieusement au-dessus de leur tête.
C’est ainsi que le désert mystérieux et
sauvage emportait les plus fragiles ou les plus malchanceux dans les
profondeurs de son inexorable chaleur, les étouffant, les momifiant, les
pétrifiant sans miséricorde.
Mais, il était dit que Neb-Amon et Nedjar ne
feraient pas partie, cette fois-là du moins, de l’infernal plan du désert, car
soudain, le roulement d’une vingtaine de chars se fit entendre dans le
lointain.
Ce fut dans un état à demi comateux que les
deux hommes se sentirent soulevés, allongés, observés. On fit couler dans leur
gorge desséchée un filet d’eau fraîche et, dans le bruit sourd du sabot des
chevaux qui filaient à vive allure, Neb-Amon et son compagnon se laissèrent
emporter dans la bienheureuse et revigorante oscillation des attelages.
Ce fut à la hauteur d’Abou Simbel que le médecin
ouvrit les yeux. Il était allongé aux côtés d’un jeune homme qui conduisait son
char d’une main de maître. Premier de la file, une vingtaine de chars le
talonnait.
— Comment te sens-tu ? s’enquit-il
aussitôt quand il vit son passager relever la tête et observer les alentours.
Tu étais en bien triste état quand nous t’avons relevé. Ton conducteur est lui
aussi tiré d’affaire.
C’est alors que Neb-Amon reconnut le prince
Thoutmosis. Sa gorge ne le brûlait plus mais ses yeux le piquaient légèrement.
C’est à peine s’il pouvait les ouvrir sur la haute silhouette qui tenait
solidement les rênes de ses chevaux.
— Auriez-vous sauvé notre vie, Prince ?
Le jeune homme se mit à rire.
— J’en ai bien l’impression, médecin Neb-Amon,
car toi et ton conducteur, vous étiez en si mauvaise posture que ces maudites
mouches vous recouvraient plus encore que la nuit qui nous a empêchés de vous
apercevoir de loin. Dieu de Seth ! Quand la roue de mon char a fait voler
la nuée de ces mouches bourdonnantes, je t’ai aperçu étendu. J’ai cru que tu
étais mort.
— Ma gratitude vous est acquise, Prince.
— Bah ! fit le jeune homme en
élevant la main d’un geste vague.
Puis, d’un mouvement sec, il éventa son
visage.
— Et les sauterelles qui viennent d’on ne
sait où ! Regarde celles-ci, elles nous suivent depuis Abou-Simbel. Khety
et Dydou, mes capitaines d’armées affirment que c’est une triste saison qui s’annonce
et qu’en Nubie, nous allons souffrir de la sécheresse.
Il se baissa pour éviter deux sauterelles qui,
agressives, s’élançaient sur lui.
— Mais, Sennefer, le Grand Chancelier des
déserts, affirme que c’est ainsi que je vais tout apprendre.
Il tourna rapidement la tête et vit que les premiers
chars, ceux de ses capitaines, le talonnaient à une demi-roue près.
— Il me semble que tu vas là où je vais,
jeta Thoutmosis en riant.
— En Nubie ?
— À Bouhen. Car ton épouse doit m’offrir
l’hospitalité que j’attends d’elle. Le temps de récupérer mes troupes
cantonnées non loin de son domaine, et je repartirai ensuite.
Il fit claquer son fouet afin d’allonger la
distance entre lui et ses archers et regarda quelque temps les vautours qui
planaient au-dessus des attelages. Plus haut, s’étaient joints deux grands
faucons qui tournoyaient avec une grâce sans égale.
— Ce sont les miens, fit-il en les
désignant du doigt. Ils suivent mes archers et s’arrêteront juste au-dessus de
ton domaine. Nous les récupérerons alors et peut-être ferons-nous une grande
chasse avant de repartir. Le désert de Nubie regorge de gazelles, d’oryx et d’antilopes.
Cela te plairait-il de suivre une telle équipée ?
Non ! Cela n’attirait nullement Neb-Amon
d’assister à la
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