L'Ombre du Prince
diplomatie
sans égale mêlée de ruse qu’il savait doser de façon démoniaque, l’homme qu’elle
avait envoyé, quinze ans auparavant, dans les pays du Nord pour y tenir le rôle
de Grand Ambassadeur d’Égypte se tenait courbé devant elle.
— Relève-toi, Ouser et parlons puisque tu
m’as demandé une audience privée.
— Comment vous portez-vous, Majesté ?
La reine eut un sourire ironique.
— Allons, Ouser, pas d’hypocrisie.
Personne n’est entre nous. Tu te moques de ma santé et de mon moral autant que
tu te moques de la première sarcelle que tu as piégée dans le Nil au temps de
ta jeunesse. Que veux-tu me dire ou m’apprendre ?
Elle désigna les deux sièges bas qui lui
faisaient face.
— Asseyons-nous.
— Majesté, fit Ouser. Mon retour me
laisse perplexe.
— Perplexe ? Ce n’est pourtant pas
moi qui t’ai demandé de revenir en Égypte. N’étais-tu pas déifié dans le pays
des Hittites ?
Ouser fit la moue et les narines de son grand
nez s’écartèrent.
— Tu as si bien dirigé ton ambassade que,
durant ces quinze années, nous n’avons pas vu un seul de leur javelot pointé
sur nos terres.
— Ne vouliez-vous pas un règne pacifique ?
Il eut un sourire vaste, mais ambigu et poursuivit :
— Vous l’avez eu.
Elle se redressa, piquée à vif.
— Pourquoi parles-tu au passé ?
— Parce que vous devez abdiquer à
présent.
— Jamais, Ouser. Jamais, tu m’entends !
Elle s’attendait à ce genre de discussion,
mais pas aussi brutale. Autrefois, Ouser s’y prenait de façon plus habile. Il
fallait qu’il soit bien poussé par les fidèles du prince pour s’y prendre d’une
manière aussi grossière.
— Es-tu le bouc émissaire d’Antef ?
— En quelque sorte.
— Alors, notre discussion s’arrêtera là.
Retourne lui dire que je refuse d’abdiquer.
L’ambiguïté de son sourire tourna quasiment en
agressivité.
— Je vais vous convaincre, Majesté.
Elle se mit à rire, mais ses mains tremblèrent.
— Me convaincre. Es-tu devenu fou ?
— Pensiez-vous donc que je m’attendais à
une réaction différente ? Si je suis ici, c’est que j’ai toutes les
possibilités de réussir ma plaidoirie en faveur de votre neveu.
— Parle.
Ouser se leva et, les mains attachées dans son
dos, il fit quelques enjambées. Hatchepsout remarqua le calme qui s’inscrivait
sur son visage alors que l’angoisse étreignait de plus en plus le sien.
Elle se leva et se planta hautaine devant lui.
— Comment vas-tu m’évincer ? Quelle est
cette calomnie que tu distilles entre tes lèvres avant de la jeter odieusement
devant moi ?
Elle tentait de se remémorer les avantages
dont elle avait bénéficié pour monter sur le trône. Sa lignée était pure, celle
de Thoutmosis ne l’était pas. Hatchepsout était fille et petite-fille de pharaon.
Il fallait même remonter très loin dans son hérédité royale pour y trouver la
moindre faille qui l’eût déstabilisée.
— Par votre fille.
Hatchepsout ne put s’empêcher d’entrouvrir la
bouche de surprise.
— Par votre fille, Majesté, qui ne
détient pas le sang pur dont vous voulez la doter.
— Comment oses-tu ? cria la
pharaonne. Sors de cette pièce. Je te retire tes titres et tes honneurs. Tu n’es
plus rien, Ouser. Tu tombes aussi bas qu’est tombé Senenmout, mon fidèle intendant.
— Justement, fit-il d’un ton fielleux.
Vous avez su l’évincer quand bon vous semblait.
— Explique-toi, dit-elle le visage blanc
de rage.
— Votre fille Mérytrê sort d’un
bas-ventre qui n’est que celui d’un vulgaire petit scribe qui a su s’élever à
vos côtés.
— Tu… tu…
Sidérée, elle ne pouvait plus articuler. Les
mots s’étranglaient dans sa gorge. Elle s’attendait à tout, mais sûrement pas à
cet odieux argument qui, en effet, allait déstabiliser son règne.
— Osez nier votre intimité sexuelle avec
votre intendant !
— Étais-tu présent dans ma chambre ?
finit-elle par jeter.
Elle sentit son énergie revenir. Ses mains ne
tremblaient plus et son esprit se clarifiait. Mais l’argument restait de poids.
De plus, Senenmout n’était plus là pour nier la paternité dont Ouser l’accusait.
— Comment vas-tu prouver cette
affirmation ?
— Ensemble, nous allons remonter le
temps, Majesté. Certes, quand votre époux le deuxième pharaon Thoutmosis était
encore en vie, vous avez toujours su éloigner de votre
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