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L'Ombre du Prince

L'Ombre du Prince

Titel: L'Ombre du Prince Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jocelyne Godard
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intimité quotidienne les
sujets encombrants.
    — Que vient faire Senenmout dans cette
affaire ?
    — J’y arrive, Majesté, j’y arrive.
    Il avait sur son visage un sourire arrogant,
plein de mépris et de certitude.
    — Si les bouches se sont tues lors de la
naissance de vos filles, c’est que le pharaon était encore en vie. Votre
attitude envers votre amant ne s’est vraiment libérée qu’après la mort de votre
époux.
    — C’est odieux, fit-elle d’un ton bas.
    Il se rapprocha d’elle si près qu’elle sentit
son souffle parfumé de muscade.
    — Et ne m’ôtez pas mes titres, Majesté.
Sinon, votre neveu se fera un plaisir de me les rendre.
    — C’est une calomnie. Mon cher Ouser, ce
genre de choses en Égypte est sévèrement puni. Ce n’est pas tes titres qui
seront enlevés, c’est la prison dans une carrière de pierres qui seulement t’attend
et tu en seras le premier de file enchaîné.
    Le sourire d’Ouser s’élargit.
    — Vous n’avez introduit ouvertement Senenmout
dans votre intimité quotidienne qu’après la naissance de vos filles. Ainsi, on
ne pouvait plus le soupçonner d’être le père de l’une ou de l’autre.
    Son haleine chaude et musquée enveloppait
maintenant tout le visage d’Hatchepsout. Elle eut soudain envie de vomir.
    — Antef m’a envoyé au palais un jour que
vous partagiez votre couche avec votre favori. Seule, votre première fille
était née.
    — Et alors ?
    — Alors, il se trouve que je me suis
perdu dans les dédales de vos appartements, volontairement, je l’avoue [8] .
    — N’as-tu pas été écarté ? Ma garde
était fort importante et je pense que tu mens.
    — J’étais mince à l’époque, dit-il en
caressant son ventre replet et Antef m’avait dessiné un plan de vos
appartements. Je n’ai vu aucun garde, nulle servante, mais j’ai croisé
Senenmout qui sortait de votre chambre.
    — Quelle preuve formelle ! D’autres
aussi sortaient de ma chambre, mon pauvre Ouser. Sais-tu combien de séances de
travail j’y tenais avec le Chef des Polices, le Grand Trésorier ou l’Intendant
des Orfèvres ?
    — Senenmout a avoué.
    — C’est faux !
    — C’est vrai.
    Ouser se mit à rire.
    — C’est lui-même qui m’a jeté en plein
visage qu’il partageait votre couche.
    — C’est faux. Jamais Senenmout n’aurait
osé affirmer un tel mensonge. Au palais, comme au harem, tout le monde sait qu’il
est devenu mon ami privilégié après la naissance de mes deux filles.
    — Il a avoué.
    — Pourquoi l’aurait-il fait sans me le
dire par la suite ?
    — Parce qu’il l’a avoué par bêtise.
Voyez-vous Majesté, votre Intendant était stupide et jaloux. Il est tombé dans
mon piège, malgré la simplicité de celui-ci.
    — Explique-toi.
    — Je lui ai dit que vous m’aviez invité à
partager votre couche. Sa jalousie s’est aussitôt tournée en bêtise. Il m’a dit
qu’il était le seul et serait toujours le seul à partager l’intimité secrète de
Sa Majesté la reine.
    Anéantie, Hatchepsout ne sut quoi répondre.
Certes, Senenmout l’avait aimée, idolâtrée, déifiée. Sa fidélité restait
exemplaire. Mais, par toutes les divinités d’Égypte pouvait-il la trahir à ce
point pour éviter qu’un autre ne prenne la place qu’elle lui avait faite au
creux de son lit ?
    — Jamais je n’abdiquerai !
lança-t-elle au visage d’Ouser.

 
CHAPITRE VII
    L’air était sec, brûlant, suspendu par un fil
invisible retenant avec acharnement chaque geste, chaque mouvement et le
khamsin, qui s’était arrêté de souffler depuis quelques heures, n’avait en rien
apaisé le spectacle étrange qu’il offrit quand tout se fut métamorphosé sur son
passage.
    Le Nil sans sa bienheureuse crue avait changé
de couleur. Soudain, le bleu de ses maigres flots déjà sombres depuis la veille
s’était noirci avec une telle violence que l’ombre des sycomores elle-même ne
paraissait pas plus obscure.
    — C’est étrange, fit Satiah en regardant
son compagnon. Je n’avais jamais remarqué combien notre fleuve était si
capricieux. Hier il semblait aussi vert que tes yeux, Thouty. Puis, tout à l’heure
il était bleu comme le quartz de ta future couronne et, maintenant il est noir.
    Le jeune prince se mit à rire. Quand Satiah le
plaçait en image sur le trône d’Égypte, il s’y voyait avec une telle assurance
qu’aucune réplique ne venait à sa bouche. Aussi, la jeune fille

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