L'Ombre du Prince
notables de la nouvelle génération. Quant au Chef
de toutes les Polices, il a dû céder son titre de Grand Général des Armées à
Sennefer, le Chancelier du Nord et du Sud qui a pris la tête de toute l’armée
du désert.
La chambre d’Hatchepsout était spacieuse. De
grandes tentures de lin recouvertes de peintures d’oiseaux et de fleurs
agrémentaient le mobilier, juste composé d’un grand coffre ciselé qui, s’élevant
sur quatre énormes pattes de lion en or massif, s’étendait sur presque tout un
pan de mur.
Sur une table basse où s’étalaient des objets
de parfumerie en albâtre rehaussés de couvercles en lapis-lazuli, en jaspe ou
en cornaline, Yaskat souleva une petite fiole emplie d’un onguent aux effluves
de jasmin et de laurier-rose.
Elle passa l’huile délicieuse qui embaumait la
pièce sur le corps de sa maîtresse. À plus de quarante ans, Yaskat savait
toujours aussi bien masser Hatchepsout. Elle frictionnait lentement ses pieds,
remontant les doigts sur les jambes, les cuisses, les reins.
Hatchepsout soupira d’aise. Elle ouvrit ses
yeux qu’elle tenait fermés depuis quelques instants et observa les minuscules
pots d’ivoire qu’elle avait devant elle. Que lui importaient tous ces objets de
luxe, maintenant que Senenmout n’était plus là pour lui présenter celui qui
enfermait le parfum dont il voulait qu’elle s’enveloppe pour la nuit à venir.
Senenmout ! Son tendre favori. Son amant
depuis quinze longues années de règne harmonieux. Senenmout ! Si
intransigeant, si dur, si froid pour les autres et si prévenant pour elle.
Pourquoi l’avait-il trompée ? Quelles étaient donc ces idées trop
ambitieuses qui l’avaient traversé, nourri, corrompu ? Certes, la démesure
avait toujours habité l’esprit de son intendant, mais jusqu’alors sa reine
bien-aimée faisait corps avec ses éternels projets grandioses.
Hatchepsout ne dormait plus depuis qu’elle l’avait
répudié.
Y avait-il vraiment tromperie ? L’Égypte,
les notables, les dignitaires, les grands du royaume et tous ceux qui, depuis
longtemps, cherchaient à évincer le premier conseiller de la reine, avaient
appuyé lourdement sur l’ampleur du délit. Avec les finances de l’État,
Senenmout avait creusé dans la roche pour s’élever un sanctuaire. Son propre
temple destiné pour lui et sa famille.
En un temps plus calme, Hatchepsout aurait pu
atténuer la gravité de la faute et le charger d’une mission étrangère qui l’eût
éloigné pour quelque temps.
Mais l’époque était à la rébellion et Thoutmosis,
son neveu, revendiquait à présent une place qu’elle avait soi-disant usurpée.
Senenmout banni, ses sujets s’étaient calmés. À présent, une pesanteur extrême,
un relent d’agressivité contenue, presque latent, rôdait autour d’elle.
Hatchepsout soupira, offrant à Yaskat son dos
lisse et blanc, ses reins étroits que deux grossesses n’avaient pas encore
entamés. Son corps soyeux ne demandait qu’à subir les caresses des longs doigts
de sa compagne.
Quand elle massa l’intérieur de ses cuisses
dont l’élasticité étonnait encore les mains de Yaskat, Hatchepsout sentit une
décontraction l’envahir et elle sut qu’elle pourrait recevoir son adversaire en
toute tranquillité, apaisée, détendue.
Confiante, elle se laissa complètement aller.
Yaskat massait sa nuque, descendait ses doigts huilés sur les épaules, le dos,
le cou. Ses mains glissaient jusqu’à la chute des reins, remontaient le long
des flancs et s’arrêtèrent enfin épuisées, lorsque Hatchepsout se sentit prête.
Contrairement aux habitudes, le maquillage ne
fut pas long et quand le trait de khôl fut entièrement dessiné, droit, fin et
oblique jusqu’à la limite de ses tempes, lorsque ses lèvres furent passées au
henné et la perruque ajustée, Hatchepsout se sentit en position de force.
Ouser l’attendait dans la petite salle d’audience,
celle dont elle se servait pour recevoir un ou deux personnages importants de l’État.
Elle avança et le regarda. Avant qu’il se penche, elle remarqua que les années
n’avaient pas raccourci son long nez fort et busqué.
Bien plus gras et velu que dans sa jeunesse,
il avait toujours ce maintien de félin prêt à bondir à l’attaque. Elle devait
se méfier, rester sur ses gardes en permanence, même s’il lui paraissait docile
et avenant. Ouser était retors avec les autres.
D’une intelligence brillante, d’une
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