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L'Ombre du Prince

L'Ombre du Prince

Titel: L'Ombre du Prince Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jocelyne Godard
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vie, car elles se nourrissaient
exclusivement de carcasses humaines ou animales.
    Sur sa gauche, alors qu’il pressait le pas
pour en finir avec ces visions cauchemardesques, il vit un énorme monticule d’os,
de poils et de chair sur lequel tournoyaient deux vautours. La carcasse
semblait être celle d’un bœuf ou d’un oryx et dans quelques jours, les os
restants auraient croulé sous l’assaut des vautours.
    Plus il s’approchait de la colline thébaine,
plus l’idée que le port n’était pas loin s’ancrait dans l’esprit de Seddy. Mais
le médecin n’en avait pas terminé avec le sombre chemin qu’il parcourait. Au
pied de la colline thébaine, une ombre noirâtre annonçait les charniers. Des
fosses avaient été creusées pour y jeter les corps. Du moins, c’est ce que les
dirigeants des villages faisaient au début de la famine quand le nombre des
morts était encore acceptable. Puis, les fosses pleines, on avait jeté les
corps à côté sans en creuser d’autres et les charniers prenaient de l’ampleur.
    Une odeur fétide flottait dans l’air. Seddy
prit la direction des quais sans plus réfléchir. S’attendrir était inutile et,
de toute façon, ce n’était pas dans ses habitudes. À quoi bon s’appesantir sur
le sort de ces hommes que les dieux n’avaient pas voulu aider !
    Au loin, les grandes palmeraies, les champs d’orge,
les vignes, les plantations de lin, les vergers où les rigoles d’eau étaient
depuis longtemps asséchées n’offraient plus que des terrains arides. Pas un
oignon, pas un poireau, pas un melon n’était sorti de terre sinon pour montrer
un ridicule embryon calciné. Ail, pois chiches, fèves, laitues, concombres,
choux, persil et herbes aromatiques manquaient même sur les tables des plus
favorisés.
    Et que pouvait penser Seddy qui n’avait pas
plus de compassion pour les pauvres qu’il n’en avait pour les morts, puisque
travaillant pour les riches, ceux-ci dès qu’ils étaient momifiés entraient dans
le pays bienheureux d’Osiris ? Seddy se trouvait-il seulement déstabilisé
devant ces infortunes ?
    Arrivé sur le port, Seddy se crut sorti d’affaire.
Il vit son bateau sur le bord asséché du fleuve. La coque était couchée et le
mât cassé en deux. Il ne fallait pas plus de quelques grandes enjambées pour se
trouver sur le pont. Alors qu’il s’apprêtait à se hisser sur le bord du bateau,
une main l’agrippa et le tira en arrière.
    Seddy se retourna. Un homme aux joues creuses,
au pagne déchiré et sali de ses propres excréments le retenait par la manche. À
voir la maigreur de l’homme, on pouvait s’étonner de sa poigne forte. Il
désigna le bateau du doigt. Un doigt long, recourbé, à l’ongle noir à moitié
rongé.
    — C’est ton fils ?
    Seddy l’observa quelque temps avant de
répondre.
    — C’est celui de mon frère.
    L’homme retira sa main et la laissa se
balancer mollement contre lui comme si toute force l’avait abandonné.
    — Alors, n’entre pas dans le bateau, il
est mort.
    Seddy sentit le sol se dérober sous ses pieds.
    Néfermenkh et lui n’étaient peut-être pas très
intimes, mais suffisamment complices en divers domaines – entre autres
celui de la navigation pour lequel chacun partageait une véritable passion –
pour qu’il fût ébranlé par cette nouvelle.
    — Mort, répéta-t-il assommé par cette
révélation. Mais je lui avais donné une potion pour atténuer les risques de l’épidémie !
    L’homme perçut de l’agressivité dans le ton de
Seddy.
    — Tu es médecin ?
    Sans répondre, Seddy sauta sur le pont du
bateau et vit que la proue avait été, elle aussi, fortement endommagée. La
grande voile carrée était tassée sur le sol. Quand il pénétra dans l’unique
cabine confortablement aménagée, il découvrit le corps inerte de son neveu
étendu à terre. Il observa son visage et vit qu’il n’était pas atteint par la
contamination et que le corps, normalement nourri, n’offrait aucune trace de
maigreur excessive.
    Alors, il le retourna et vit que le crâne
avait été défoncé. Du sang séché collait à ses cheveux et y avait formé une
croûte épaisse. Anéanti, Seddy restait debout sans comprendre.
    L’homme l’avait suivi. Ses bras et ses jambes
dénudés ressemblaient à deux tiges de dattier maigres et desséchées.
    — Ah ! fit-il en faisant le geste de
cracher à terre. Il a eu la chance de mourir le corps engraissé comme un

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