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L'Ombre du Prince

L'Ombre du Prince

Titel: L'Ombre du Prince Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jocelyne Godard
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votre
palais et qui, dans un instant, envahiront jusqu’à vos appartements personnels,
ont attendu leurs dernières limites. Ils sont extrêmement faibles.
    — Combien sont-ils environ ?
    — Des centaines si l’on compte les
mariniers et les dockers du port qui leur ont emboîté le pas.
    — Les mariniers ! fit Hatchepsout
incrédule. Je pensais que ces hommes-là étaient plus solides qu’ils n’ont l’air
de l’être. Sont-ils tous du port de Thèbes ?
    — Oui, Majesté. Ils sont arrivés précédés
du médecin Seddy.
    — Seddy ! s’exclama Hatchepsout.
Voilà qui me surprend.
    L’administrateur du harem, jusqu’ici, n’avait
pas encore parlé. Il n’osait broncher tant la reine apparaissait froide et
lointaine.
    — Seddy ! reprit celle-ci d’un ton
ironique.
    Elle fit quelques pas de long en large et jeta
un coup d’œil par la grande baie qui s’ouvrait sur un jardin privé où les
arbres souffraient d’un manque d’eau évident et commençaient à présenter un
feuillage flétri.
    À vrai dire, Hatchepsout s’interrogeait sur la
soudaine et inhabituelle générosité de son médecin. Mais, bah ! Il fallait
bien nourrir tous ces affamés si l’Égypte voulait poursuivre la destinée que
les dieux avaient prescrite. Ce n’était là qu’un grain de sable dans la bonne
continuité de la vie terrestre. L’essentiel pour Hatchepsout était de
poursuivre son règne comme au premier jour de son sacre.
    — Comment sont-ils entrés ? fit-elle
d’un ton las.
    — Un premier groupe de femmes est arrivé,
Majesté, répondit l’intendant. On pensait que, malgré leur faiblesse, elles
avaient fait la courte échelle. Mais, quand le second groupe, beaucoup plus
important, s’est rué à l’intérieur du palais, les gardes ont décelé une
entaille sur le mur côté ouest que les hommes ont dû effectuer la nuit dernière.
    — Les gardes ne les ont-ils pas remarqués ?
    Kéfith, l’administrateur principal du harem,
un petit homme replet aux joues rebondies, au nez fortement écrasé et qui
tentait d’élever son buste plus haut qu’il n’était, s’écarta de son compagnon
et prit la parole :
    — Les gardes sont angoissés, Majesté. Ils
s’éloignent trop du mur pour observer attentivement les choses. Ils craignent
la contagion. Ceux qui effectuent les tours de garde ont leur casque baissé
jusqu’aux yeux et ne pensent qu’à se maintenir un linge sous le nez pour ne pas
respirer la pestilence des rues. J’en ai vu un, ce matin – dont je tairai
le nom par solidarité – qui n’effectuait pas la moitié de son parcours et
qui faisait demi-tour pour éviter l’endroit où la foule se tenait agglutinée.
    — Alors, à présent qu’ils sont là, fit la
reine, laissez-les entrer et que les médecins les observent un par un, qu’ils
séparent les malades des bien-portants et que l’on distribue à ces derniers la
nourriture nécessaire pour qu’ils se rétablissent.
    — Mais, les réserves du palais vont
baisser, Majesté. Ne craignez-vous pas manquer de nourriture lorsque la famine
sera terminée ?
    — Bah ! Tout ceci n’est qu’un grain
de sable dans l’organisation de la vie d’ici-bas. Dans quelque temps, tout sera
rentré dans l’ordre. Les dieux, j’en suis sûre, ne veulent pas exterminer leur
peuple. Les survivants d’Égypte feront de nouveaux enfants et ceux-là mêmes ne
connaîtront peut-être jamais une telle calamité. Il faudra plus d’un siècle
avant que cela ne recommence.
    — Mais, les réserves, Majesté ! fit
l’intendant qui préférait ne pas s’étendre sur des considérations générales et
surtout inutiles dans un temps présent.
    — Ah ! Oui, les réserves ! Et
bien faites venir Pouyemrê, mon Intendant des Finances. Je vais régler avec lui
cette affaire.
    Quand elle vit l’expression horrifiée des deux
hommes à l’idée de croiser la meute des affamés qui devait à chaque instant se
rapprocher des appartements royaux, elle poussa un soupir.
    — Passez par l’arrière du palais,
fit-elle, et prenez directement l’aile sud. La poterne basse camouflée dans l’angle
par une stèle vous donnera directement accès au quartier des dignitaires.
    Comme ils s’inclinaient, cette fois, devant la
reine, elle ajouta d’un ton qui aurait pu, en d’autres circonstances, paraître
ironique :
    — La stèle est en argile. Elle n’est pas
très lourde, il vous suffira d’un peu d’aide pour arriver à

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