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L'Ombre du Prince

L'Ombre du Prince

Titel: L'Ombre du Prince Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jocelyne Godard
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quelques jours, il n’aurait certes
pas osé sortir du palais. Arrivé sur le quai, il faillit faire demi-tour, tant
le spectacle qu’il avait devant les yeux le saisit d’effroi.
    Des corps étaient étendus, recroquevillés, mangés
par les mouches et les insectes qui bourdonnaient avec insolence sur leur peau
tuméfiée.
    Cette sinistre anecdote valait pour les morts
les plus récentes, celles qui dataient de quelques jours. Pour les autres, ceux
dont les corps reposaient sur le sol depuis plusieurs semaines, des vautours
volaient bas dans le ciel pour en saisir les derniers lambeaux de chair qui y
restaient accrochés. Et, dès que le soir tombait, les hyènes qui rôdaient non
loin s’approchaient dans une décontraction totale – puisque aucun homme ne
les en empêchait – pour achever le travail.
    Ceux que la famine n’avait pas encore emportés,
du moins le peu d’hommes qui restait dans les rues de Thèbes, puisque les
survivants, ayant trouvé une brèche dans le mur d’enceinte du palais, y
faisaient une incursion dont la famille royale n’avait pas encore idée, pouvait
aisément se compter.
    Ils restaient accroupis et se tenaient le
ventre en gémissant, car beaucoup d’entre eux étaient contaminés. Seddy les
regarda avec effroi, mais ne s’en approcha pas. Il était le médecin du palais
et non celui des pauvres. Il détourna la tête pour ne plus les voir.
    Mais sur sa gauche un autre spectacle l’attendait.
Près d’une maison en briques, sans doute celle d’un artisan potier éloigné de
ses confrères, car il se trouvait près du village des artisans de Médinet
Habou, il vit une femme qui tenait un enfant entre ses bras. Mais elle berçait
un petit être déjà mort et regardait l’horizon de ses grands yeux vagues.
    À ses pieds, au seuil de la maison, gisaient
des petits cadavres déjà entamés par la morsure du soleil et que les vautours
allaient bientôt achever. Et l’ironie du sort avait fait qu’ils s’étageaient
par ordre de grandeur. Le plus grand, l’aîné sans doute, était à peine refroidi
et gisait dans l’embrasure de la porte grande ouverte, les yeux crevés par le
bec acéré d’un vautour.
    Sur l’un des côtés de la maison, appuyé contre
le mur blanchi à la chaux, le squelette du père gisait, tourné face contre
terre, l’un des bras manquait, probablement emporté par l’une des hyènes qui
rôdaient dans les parages.
    Il y avait longtemps que la mère ne regardait
plus ce carnage. À vrai dire, elle ne voulait plus que mourir elle aussi.
Comment, à présent, aurait-elle pu tenir entre ses mains tremblantes la galette
d’orge tant attendue pour se la mettre sous la dent ? Comment aurait-elle
pu la manger pour le seul désir de survivre quand toute sa famille venait d’être
balayée, emportée par le terrible fléau ?
    Seddy ferma les yeux quelques secondes pour
essayer d’effacer cet horrible spectacle et avança de plusieurs pas. Il lui
fallait sortir de ce cercle infernal, se diriger en toute hâte vers le port
pour rejoindre le fils de son frère et le décider à s’abriter à l’intérieur du
palais comme l’avait fait la famille de Mékyet et Pénith.
    Un grand champ s’étendait devant lui. De
toutes parts, des racines calcinées s’affaissaient. Certaines avaient été
arrachées et l’on pouvait remarquer que des dents s’y étaient plantées. Hélas,
ce genre de repas comme celui qui consistait à manger de la terre sèche et
craquante n’engendrait que des morts bien plus violentes encore que celles qui
résultaient d’un estomac complètement vide.
    Le périple infernal de Seddy n’était pas
achevé et il priait le dieu Amon de lui accorder un instant de répit avant d’être
plongé dans un nouveau cauchemar. Mais, que pouvait faire un simple mortel
quand le maître suprême de Thèbes, le dieu Amon, en accord avec tous les autres
dieux avait décidé la mort d’une moitié de son peuple ?
    Sur son parcours, des hommes étaient couchés
sur le sol. Eux aussi avaient gratté la terre de leurs ongles cassés pour y
déterrer quelques larves qu’ils n’avaient sans doute pas trouvées, car même les
vers de terre s’étaient desséchés par manque d’humidité.
    Plus loin, alors qu’il s’écartait des
dernières maisons de Médinet Habou, il vit le squelette de plusieurs chiens
dépecés sans doute par les hommes affamés. Les restes de chair avaient été
léchés par les hyènes, seuls animaux restés en

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