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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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vente
à un prix dérisoire. Au début, beaucoup se montrèrent intéressés, mus autant
par le goût du morbide que par la valeur croissante du quartier, mais aucun des
acheteurs potentiels ne maintint son offre après avoir visité la maison. En
1923, la villa fut fermée. Le titre de propriété fut transféré à une société de
gérance à laquelle Aldaya devait de l'argent, pour qu'elle s'occupe de sa
vente, de sa démolition ou de toute autre solution qui se présenterait. Elle
resta en vente durant des années, sans que la société parvienne à trouver un
acheteur. Celle-ci, Botelli Llofré SARL, fit faillite en 1939 du fait de
l'emprisonnement des deux titulaires sous des charges jamais tirées au clair et
de leur décès tragique dans un accident au pénitencier de San Viçens en 1940.
La société fut absorbée par un consortium financier de Madrid qui comptait
parmi ses associés trois généraux, un banquier suisse et le président-directeur
général, M. Aguilar, père de mon ami Tomás et de Bea. Malgré tous les efforts
promotionnels, aucun des vendeurs de M. Aguilar ne réussit à placer la maison,
même en l'offrant à un prix très au-dessous de sa valeur. Pendant plus de dix
ans, personne n'entra dans la propriété.
    – Jusqu'à aujourd'hui, dit Bea, avant de s'enfermer à
nouveau dans un de ses silences.
    Je devrais avec le temps
m'habituer à ceux-ci, à la voir se réfugier
très loin, le regard
perdu et la voix en retrait.
    – Je voulais te montrer cet endroit, tu comprends ? Je voulais te faire une surprise. En écoutant Casasús, je me suis dit que je devais t 'y
mener, parce que ça fait partie de ton histoire, celle de Carax et de Penélope. J'avais
la clef du bureau de mon père. Personne ne sait que nous so mmes ici. C ' est notre secret. Je souhaitais que nous le partagions. Et
je me demandais si tu viendrais.
    – Tu savais que oui.
    Elle sourit en manière d’assentiment.
    – Tu vois, je crois que rien n'arrive par hasard. Qu’au
fond les choses suivent un plan caché, même si ne nous le comprenons pas. De la
même façon que tu as trouvé ce roman de Julián Carax dans le Cimetière des
Livres Oubliés, ou que nous sommes ici, dans cette maison qui a appartenu aux
Aldaya, tout fait partie de quelque chose que nous ne pouvons deviner, mais qui
nous tient à sa merci.
    Pendant que Bea parlait, ma main s'était déplacée
maladroitement le long de sa cheville et remontait vers son genou. Elle
l'observa comme s'il s'agissait d'un insecte. Je me demandai ce qu'aurait fait
Fermín en cet instant. Où était sa science quand j'en avais le plus
besoin ?
    – Tomás dit que tu n'as jamais eu d'amie, dit Bea, comme
si cela expliquait tout.
    Je retirai ma main et baissai les yeux, interdit. J'eus
l'impression que Bea souriait, mais je préférai ne pas m'en assurer.
    – Pour un taciturne, ton frère semble être un sacré
bavard. Que disent encore de moi les Actualités ?
    Elles disent que tu as été amoureux d'une file plus âgée
que toi pendant des années et que cette expérience t'a blessé au cœur.
    – Tout ce qui a été blessé dans cette histoire ce sont
mes lèvres et mon amour-propre.
    – Tomás m'a dit que tu n'es plus sorti avec aucune fille
parce que tu les compares toutes à elle.
    Le bon Tomás et ses coups en douce !
    – Son nom est Clara, précisai-je.
    – Je sais. Clara Barceló.
    – Tu la connais ?
    – Tout le monde connaît une Clara Barceló. Le nom ne
compte pas.
    Nous restâmes un moment silencieux, en regardant le feu
crépiter.
    – Hier soir, après t'avoir quitté, j'ai écrit une lettre
à Pablo, dit Bea.
    J'avalai ma salive.
    – A ton fiancé l'aspirant ? Pourquoi ?
    Bea sortit une lettre de son chemisier et me la montra.
L'enveloppe était fermée et timbrée.
    – Je lui dis que je veux qu'on se marie très vite, dans
un mois si possible, et qu'on quitte Barcelone pour toujours.
    J'affrontai son regard impénétrable, presque en
tremblant.
    – Pourquoi me racontes-tu ça ?
    – Parce que je veux que tu me dises si je dois ou non
l'envoyer. C'est pour ça que je t'ai fait venir, Daniel.
    J'observai la lettre qu'elle agitait comme un cornet à dés.
    – Regarde-moi, dit Bea.
    Je levai les yeux et soutins son regard. Elle baissa le
sien et partit à l’autre bout de la galerie. Une porte conduisait
à la balustrade de
marbre donnant sur la cour. Je vis sa silhouette prête à se fondre dans la pluie. Je la rejoignis, l'arrêtai et lui

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