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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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été pris au piège de cette maison.
    – Il vient parce qu'il vous aime beaucoup, Jacinta. Parce qu'il se
rappelle comme vous vous êtes occupé de lui, comme vous l'avez bien nourri
quand il était gamin. Il nous a tout raconté. Vous vous souvenez,
Jacinta ? Vous vous souvenez du temps où vous alliez chercher Jorge au
collège, de Fernando et de Julián ?
    – Julián...
    Sa voix se traînait dans un souffle, mais le sourire la trahissait.
    – Vous vous souvenez de Julián Carax, Jacinta ?
    – Je me souviens du jour où Penélope m'a dit qu'elle se marierait avec
lui...
    Nous nous regardâmes, Fermín et moi, interdits.
    – Se marier ? Quand était-ce, Jacinta ?
    – Le jour où elle l'a vu pour la première fois. Avait treize ans et ne
savait ni qui il était, ni comment il s'appelait.
    – Comment savait-elle, alors, qu'elle se marierait avec lui ?
    – Parce qu'elle l'avait vu. En rêve»
     
     
    Enfant,
Maria Jacinta Coronado était convaincue que le
monde s'arrêtait aux faubourgs de Tolède et qu'il n'y avait par-delà que ténèbres et océans de
feu. Cette idée avait germé dans sa tête à la suite d'un rêve qu'elle avait
fait lors d'une maladie où la fièvre avait failli
l'emporter. Les rêves avaient commencé avec cette fièvre
mystérieuse, dont certains attribuaient l’origine à un
énorme scorpion rouge qui était apparu un jour dans la
maison et qu'on n'avait jamais revu, et d'autres à une bonne sœur folle qui se
glissait la nuit chez les gens pour empoisonner les enfants et qui, des
années plus tard, devait mourir sur l'échafaud en récitant le Notre Père à
l'envers, les yeux exorbités, tandis qu'un nuage pourpre se répandait sur la
ville et faisait pleuvoir des scarabées morts. Dans ses rêves, Jacinta voyait
le passé, l'avenir et, parfois, entr'apercevait les secrets et les
mystères des vieilles rues de Tolède. L'un des personnages principaux en était
Zacarías, un ange vêtu de noir, accompagné d'un chat de même couleur et aux yeux
jaunes dont l'haleine sentait le soufre. Zacarías savait tout : il lui
avait prédit le jour et l'heure de la mort de son oncle Benancio, le vendeur
d'onguents et d'eau bénite. Il lui avait révélé l'endroit où sa mère, vraie
punaise de sacristie, cachait une liasse de lettres d'un ardent étudiant en
médecine aux ressources économiques limitées mais aux solides connaissances
anatomiques, dans le lit duquel, du côté de Santa María elle n'avait pas
attendu l'heure fixée pour découvrit les portes du paradis. Il lui avait
annoncé qu'elle portait cloué dans son ventre, quelque chose de mauvais, un esprit
mort qui lui voulait du mal, et qu'elle ne connaîtrait qu'un seul amour, un
amour vide et égoïste qui briserait l'âme des deux amants. Il lui
avait prophétisé qu'elle verrait, au cours de sa vie, périr tout ce qu'elle
aimait et qu'avant d'arriver au ciel elle visiterait l'enfer. Le jour de ses
premières règles, Zacarías et son chat sulfureux disparurent de ses rêves mais,
des années plus tard, Jacinta devait se souvenir avec des larmes dans les yeux
des visites de l'ange en noir, car toutes ses prédictions s'étaient accomplies.
    Aussi,
quand les médecins diagnostiquèrent qu'elle ne pourrait jamais avoir d'enfants,
Jacinta ne fut-elle pas surprise. Elle ne le fut pas non plus, même si elle
faillit en mourir de chagrin, quand l'homme qu'elle avait épousé trois ans plus
tôt lui annonça qu'il la quittait pour une autre, parce qu'elle était comme un
champ inculte et stérile qui ne donnait pas de fruit, parce qu'elle n'était pas
une femme. En l'absence de Zacarías (qu'elle prenait pour un émissaire du ciel,
car, vêtu de noir ou pas, il était un ange de lumière – et l'homme le plus beau
qu'elle eût jamais vu ou rêvé), Jacinta parlait directement à Dieu, en
cachette, sans le voir ni espérer qu'il se donne le mal de lui répondre car il
y avait beaucoup de malheur dans monde, et le sien, en fin de compte, était
infime à côté. Ses monologues avec Dieu portaient tous sur le même thème :
elle ne désirait qu'une chose dans la vie, être mère, être femme.
    Un jour
parmi tant d'autres où elle priait dans la cathédrale, elle vit venir à elle un
homme en qui elle reconnut Zacarías. Il était habillé comme à son ordinaire et
serrait contre lui le chat maléfique. Il n'avait pas pris une ride et possédait
toujours les mêmes ongles magnifiques, des ongles de duchesse, longs et
effilés.

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