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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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cette dégaine, ton père en mourra de peur.
    – Ce n'est pas la peine... je me sens bien, dis-je.
    – Alors arrête de trembler. Allons, vas-y, tu peux te
servir de ma salle de bain, il y a un chauffe-eau. Tu connais le chemin.
Pendant ce temps, j'appellerai ton père et je lui dirai... enfin bon, je ne
sais pas ce que je lui dirai. Je trouverai bien quelque chose.
    J'acquiesçai.
    – Cette maison est toujours la tienne, dit Barceló,
tandis que je m'éloignais dans le couloir. On t'a regretté.
    Je fus capable de trouver la salle de bain de Gustavo
Barceló, mais pas l’interrupteur. Je me dis que, tout compte fait, je préférais
me doucher dans le noir. J’enlevai mes vêtements souillés de sang et de boue,
et me hissai dans la baignoire impériale du maître des lieux. Une obscurité
perlée filtrait par la fenêtre qui donnait sur la cour intérieure de
l'immeuble, en dessinant vaguement les contours de la pièce et les carreaux de
céramique du sol et des murs. Par comparaison avec notre modeste salle de bain
de la rue Santa Ana, je trouvai l'eau brûlante et sa pression dignes d'hôtels
de luxe où je n'avais jamais mis les pieds. Je restai plusieurs minutes
immobile dans la vapeur, sous le jet de la douche.
    L'écho des coups s'abattant sur Fermín continuait de me
marteler les oreilles. Je ne pouvais m'ôter de la tête les paroles de Fumero,
ni le visage du policier qui m'avait immobilisé, probablement pour me protéger.
Au bout d'un moment, je sentis que l'eau refroidissait et supposai que la réserve
du chauffe-eau de mon hôte tirait à sa fin. J'en laissai couler les dernières
gouttes et fermai le robinet. La vapeur montait le long de ma peau comme des
écheveaux de soie. A travers le rideau, je devinai une silhouette figée devant
la porte. Son regard vide brillait comme celui d'un chat.
    – Tu peux sortir sans crainte, Daniel. En dépit de
toutes mes méchancetés, je ne peux toujours pas te voir.
    – Bonjour, Clara.
    Elle tendit une serviette propre dans ma direction.
J'allongeai le bras et la saisis. Je m'en ceignis avec une pudeur de
collégienne et, malgré la pénombre vaporeuse, je pus voir que Clara souriait en
devinant mes mouvements.
    – Je ne t'ai pas entendue entrer.
    – Je n'ai pas frappé. Pourquoi te douches-tu dans le
noir ?
    – Et toi, comment sais-tu que je n'ai pas allumé ?
    – Le bourdonnement de l'ampoule, dit-elle. Tu n'es
jamais revenu me dire adieu.
    Mais si, je suis revenu, pensai-je, mais tu étais trop
occupée. Les mots moururent sur mes lèvres : leur rancœur et leur amertume
étaient soudain ridicules.
    – Je sais. Pardonne-moi.
    Je sortis de la douche, sur le tapis de bain. Le halo de
vapeur formait des nœuds argentés, la clarté de la lucarne posait un voile
blanc sur la face de Clara. Elle était telle que dans mon souvenir. Quatre
années d’absence ne m’avaient pour ainsi dire servi à rien.
    – Ta voix a changé, dit-elle. Et toi aussi,
Daniel ?
    – Je suis toujours aussi bête, si c’est ce qui
t’intrigue.
    Et puis lâche, ajoutai-je en moi-même. Elle avait
toujours le même sourire brisé qui me faisait mal, même dans la pénombre. Elle
tendit la main, et comme huit ans plus tôt, le soir de la bibliothèque de
l’Ateneo, je compris tout de suite. Je la guidai vers mon visage et sentis ses
doigts me redécouvrir, tandis que ses lèvres dessinaient des paroles en silence.
    – Je n’ai jamais voulu te faire de mal, Daniel.
Pardonne-moi.
    Je lui pris la main et la baisai dans l’obscurité.
    – C’est moi qui te demande pardon.
    Cette atmosphère mélodramatique fut réduite à néant par
l’apparition de Bernarda dans l’encadrement de la porte. Bien qu’elle fût
presque ivre, elle vit bien que j’étais tout nu, ruisselant, la lumière
éteinte, et que je pressais la main de Clara contre mes lèvres.
    – Pour l’amour de Dieu, monsieur Daniel, vous n’avez pas
honte ? Jésus, Marie, Joseph ! Il y en a qui sont vraiment
incorrigibles…
    Outrée, Bernarda battit en retraite, et j’espérai que
les effets du brandy dissipés, le souvenir de cette visite s’évanouirait de son
esprit comme un songe. Clara recula de quelques pas et me tendit les vêtements
qu’elle tenait sous son bras gauche.
    – Mon oncle m’a donné ces habits pour que tu les mettes.
Ils datent de sa jeunesse. Il dit que tu as beaucoup grandi et qu’ils t’iront.
Je n’aurais pas dû entrer sans frapper.
    Je pris ce qu’elle m’avait

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