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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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cette période, j'appris que rien ne fait plus peur aux
vainqueurs qu'un héros qui est resté vivant pour dire ce qu'aucun de ceux qui
sont tombés à ses côtés ne pourra jamais raconter. Les semaines suivant
la chute de Barcelone furent indescriptibles. Il coula ces jours-là autant
sinon plus de sang qu'au cours des combats, sauf que cela se fit en secret, à l’insu de tous. Quand vint
finalement la paix, elle avait l'odeur de celle qui s'abat sur les prisons et
les cimetières, linceul de silence et de honte qui pourrit l’âme et ne s'en va jamais. Aucune
main n'était innocente, aucun regard n'était pur.
    Nous tout, sens
exception, qui avons assisté à cela, nus en garderons le secret jusqu'à la
mort.
    Le calme
revenait dans le soupçon et la haine, mais Julián et moi vivions misérablement. N ous avions dépensé toutes les
économies de Miquel et le fruit des razzias nocturnes de Laín Coubert, et il ne
me routait plus rien à vendre. Je cherchais désespérément du travail comme
traductrice, dactylo, ou comme femme de ménage, mais il
semblait que mes liens passés
avec Cabestany m'avaient marquée : j'étais indésirable et suspecte, sans
que l’on me dise de quoi. Un fonctionna ire vêtu
avec luxe, cheveux brillantinés et fine
moustache, identique à des centaines d'autres qui semblaient sortir de sous les
pavés au cours de ces mois-là, me suggéra qu'une femme aussi séduisante que moi
avait mieux à faire que de chercher des emplois aussi communs. Les voisins, qui
acceptaient de bonne foi la réputation que je m'étais forgée en soignant mon
pauvre mari Miquel, invalide de guerre et défiguré, nous faisaient l'aumône de
lait, de fromage et de pain, parfois même de
poisson salé ou de charcuterie provenant de leurs familles restées au village.
Après des mois de pénurie, convaincue que beaucoup
de temps passerait encore sans que je retrouve un emploi,
je décidai de recourir à un stratagème que
j'empruntai un roman de Julián,
    J'écrivis
à la mère de Julien à Bogota, au nom d'un prétendu avocat
récemment établi que feu M. Fortuny avait
consulté dans nos derniers jours pour mettre ses affaires e n ordre.
Je l’i nformais que le
chapelier étant décédé intestat, son patrimoine, qui
comprenait l’apparte ment du boulevard San Antonio et le
magasin sis dans le même immeuble, était maintenant la
propriété théorique de son fils Julián, dont on supposait qu’il vivait en exil
en France. Les droits de succession n’ayant pas été acquittés et elle-même
vivant à l’étranger, l’avocat, que je baptisai José Maria Requejo en souvenir
du premier garçon qui m'avait embrassée sur la bouche, lui demandait
l'autorisation d'entreprendre les premières forma lités urgentes,
d'effectuer le transfert des propriétés au nom de son fils, avec qui il pensait
pouvoir entrer en contact par l'intermédiaire de l'ambassade d'Espagne à Paris,
et d'en assurer la gérance provisoire et temporaire, moyennant une certaine
compensation financière. Il la priait
également de se mettre en relation avec l 'administrateur
de biens pour que ce dernier transmette les titres nécessaires et règle les
frais d'entretien du magasin et de l'appartement au cabinet de Me Requejo, au
nom de qui je pris une boîte postale en donnant une adresse fictive, un vieux
garage inoccupé à deux rues de la villa en ruine
des Aldaya. J 'espérais que Sophie, aveuglée par
la perspective d'aider Julián et de reprendre contact avec lui, ne
s'attarderait pas à se poser des questions sur ce galimatias juridique et
accepterait de nous aider, vu sa situation prospère dans la lointaine Colombie.
    Deux mois
plus tard, l'administrateur de biens reçut le premier virement mensuel, qui
couvrait les frais de l'appartement du boulevard San Antonio et les honoraires
destinés au cabinet d'avocats de Me José Maria Requejo, qu'il fit suivre sous
forme de chèque au porteur à la boîte postale 2321 de
Barcelone, suivant les instructions données par Sophie Carax dans sa lettre. Je
m'aperçus que l’ administrateur
prélevait tous les mois un pourcentage illicite, mais préférai ne rien dire. De
la sorte il se trouvait satisfait, et la facilité de l'affaire l’incitait à ne
pas poser de questions. Ce qui restait nous permettait de survivre, à Julián et moi. Ainsi
passèrent des années terribles, sans espérance, Peu à peu,
j’avais obtenu quelques travaux de traduction. Personne ne se
souvenait plus de

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