Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
Vom Netzwerk:
déserteur, couronné de cheveux blancs et engoncé dans un
énorme manteau gris. Roi de l'aube, il levait en riant sa race vers le ciel et
tentait en vain d'attraper des flocons dans ses gants. Quand je passai prés de
lui, il me sourit gravement comme si, d'un coup d'oeil, il pouvait lire dans
mon âme. Il avait des yeux dorés, comme des pièces de monnaie magiques au fond
d'une fontaine. Je crus l'entendre dire :
    – Bonne
chance.
    Je tâchai
de prendre ce vœu pour un heureux présage et pressai le pas en priant pour
qu'il ne soit pas trop tard et que Bea, la Bea de mon histoire, soit toujours
là à m'attendre.
    Le froid
me brûlait la gorge quand j'arrivai, hors d'haleine, devant l'immeuble des
Aguilar. La neige commençait à geler. J'eus la bonne fortune de rencontrer,
posté sous le porche, M. Saturno Molleda, concierge (selon ce que m'avait
raconté Bea) poète surréaliste en secret. M. Saturno contemplait le spectacle
de la neige, balai à la main, emmitouflé dans au moins trois écharpes et
chaussé de bottes militaires.
    – Ce sont
les pellicules de la chevelure divine, dit-il, émerveillé, en saluant la neige
d'une métaphore inédite.
    – Je vais chez les Aguilar,
annonçai-je.
    – On sait
bien que Dieu est avec ceux qui se lèvent tôt, mais là, jeune homme, vous y
allez un peu fort.
    – Il s'agit d'une affaire urgente.
Ils m'attendent.
    – Ego
te absolvo , psalmodia-t-il
en m'accordant sa bénédiction.
    Tout en
gravissant l'escalier au pas de course, je pesai mes chances sans trop me faire
d'illusions. Dans le meilleur des cas, ce serait une domestique qui
m'ouvrirait, et j'étais prêt à franchir ce barrage sans hésitations. Dans le
pire, et vu l'heure, ce serait le père de Bea. Je voulus me rassurer en me
persuadant qu'il ne devait pas être armé dans l'intimité de son foyer, du moins
pas avant le petit déjeuner. Je m'arrêtai quelques instants avant de frapper,
pour reprendre mon souffle et tenter de rassembler quelques mots qui ne vinrent
pas. Mais peu importait désormais. Avec force, je fis résonner trois fois le
heurtoir. Quinze secondes plus tard, je répétai l'opération en ignorant les
battements de mon cœur et la sueur froide qui me couvrait le front. Lorsque la
porte s'ouvrit, j'avais encore la main sur le heurtoir.
    –
Qu'est-ce que tu veux ?
    Les yeux
de mon vieil ami Tomás me transpercèrent. Sans marquer de surprise. Froids et
chargés de colère.
    – Je viens
voir Bea. Tu peux me casser la figure si tu veux mais je ne m'en irai pas avant
de lui avoir parlé.
    Tomás
m'observait, impassible. Je me demandai s'il allait me mettre en charpie sur
l’heure et sans autres considérations. Je déglutis.
    – Ma sœur
n'est pas la.
    – Tomás...
    – Bea est partie.
    La
résignation et la douleur perçaient dans sa qui tentait de rester furieuse.
    – Elle est
partie ? Où ?
    –
J'espérais que tu le saurais.
    – Moi ?
    Ignorant
les poings fermés et le visage menaçant de Tomás, je me glissai à l'intérieur
de l'appartement et criai :
    –
Bea ! Bea ! C'est moi, Daniel...
    Je
m'arrêtai au milieu du
couloir. Les murs recrachaient l'écho de ma voix avec le mépris des espaces
vides. Ni M. Aguilar, ni son épouse, ni un domestique n'apparurent en réponse à mes appels.
    – Il n’y a personne. Je te l’ai, proféra Tomás mon dos. Maintenant,
fous le camp et ne remets plus les pieds ici. Mon père a juré de te tuer, et ce
n'est pas moi qui l'en empêcherai.
    – Pour l'amour de Dieu. Tomás ! Dis-moi
où est ta sœur.
    Il me regardait comme quelqu'un qui ne sait s'il doit cracher ou passer
son chemin.
    – Bea s'est enfuie de la maison, Daniel. Depuis deux jours, mes parents
la cherchent partout comme des fous et la police aussi.
    – Mais...
    – L'autre nuit, quand elle revenue de son rendez-vous avec toi, mon
père l'attendait. Il lui a fendu les lèvres à force de gifles, mais ne
t'inquiète pas, elle a refusé de donner ton nom. Tu ne la mérites pas,
    – Tomás...
    – Tais-toi. Le lendemain, mes parents l'ont emmenée chez le docteur.
    —Pourquoi ? Bea est malade ?
    – Malade de toi, imbécile. Ma sœur est enceinte.
    – Ne me dis pas que tu l'ignorais.
    Je sentis que mes lèvres tremblaient Un froid intense se répandit dans
mon corps, la voix me manqua, mon regard vacilla. Je me traînai jusqu'à la
porte d'entrée, mais Tomás m'attrapa et m'envoya valser contre le mur.
    – Qu'est-ce que tu lui as fait ?
    – Tomás,

Weitere Kostenlose Bücher