L'ombre du vent
je...
L'impatience faisait battre ses paupières. Le premier coup me coupa le
souffle. Je tombai à terre, genoux ployés. Une prise terrible me serra la gorge
et me remit sur pied, cloué au mur.
– Qu'est-ce que tu lui as fait, salaud ?
Je tentai de me dégager, mais Tomás m'assomma d'un coup de poing dans la figure. Je basculai dam
une obscurité interminable, la tête noyée dans des vagues de douleur. Je
m'étalai sur les dalles du couloir et tentai de ramper, mais Tomás m'attrapa
par le col de mon manteau et me traîna sans ménagements jusque sur le palier.
Il me jeta dans l'escalier comme un déchet.
— S'il est arrivé quelque chose à Bea, je te jure que je te tuerai,
dit-il, du seuil.
Je me mis à genoux. J'aurais voulu une seconde de répit, juste le temps
de récupérer ma voix. La porte se referma en m'abandonnant à l'obscurité. Je
fus assailli par un élancement dans l'oreille gauche si violent que j'y portai
la main, fou de douleur. Je sentis le sang couler. Je me relevai comme je pus.
Les muscles du ventre que le premier coup de Tomás avait défoncés se tordaient
dans une agonie qui ne faisait que commencer. Je me laissai glisser dans
l'escalier, au bas duquel M. Saturno hocha la tête en me voyant.
—Oh là !... Entrez un moment pour vous remettre. ..
Je refusai, en me tenant le ventre à deux mains. Le côté gauche de la
tête m'élançait, comme si les os cherchaient à se détacher de la chair.
— Vous saignez, dit M. Saturno, inquiet.
– Ce n'est pas la première fois,
– Faites le malin, et vous n'aurez pas le loisir de saigner longtemps.
Allons, entrez, et j'appelle un médecin. Je vous en prie !
Je réussis à gagner la rue et à me libérer de la bonne volonté du
concierge. Il neigeait très fort et des voiles de brume blanche tournoyaient
sur les trottoirs, Le vent glacé s'insinuait sous mes vêtements et avivait ma
plaie au visage. Je ne sais si
j’ai pleuré de douleur, de rage ou de
peur. La neige, indifférente, emporta mes lâches gémissements et je m'éloignai
lentement dans l'aube poudreuse, ombre parmi les ombres se frayant leur chemin
à travers les pellicules de Dieu.
2
Au moment
où j'arrivais à proximité de la rue Balmes, je m'aperçus qu'une voiture me
suivait le long du trottoir. Les douleurs dans la tête avaient laissé place à
une sensation de vertige qui me faisait vaciller, et je dus m'appuyer aux murs.
La voiture s'arrêta, et deux hommes en descendirent. Un sifflement strident
s'était emparé de mes oreilles, si bien que je ne pus entendre le moteur ni les
appels de ces deux silhouettes noires qui me soulevaient chacune d'un côté et
m'entraînaient en hâte vers la voiture. Rendu impuissant par les nausées, je me
laissai choir sur la banquette arrière. La lumière allait et venait en vagues
aveuglantes. Je compris que la voiture démarrait. Des mains me palpaient le
visage, la tête et les côtes. En rencontrant le manuscrit de Nuria Monfort
caché à l'intérieur de mon manteau, une des formes me l'arracha. Je voulus l'en
empêcher, mais mes bras étaient transformés en gélatine. L'autre forme se
pencha sur moi. Je sus qu'elle me parlait, car elle me soufflait son haleine en
pleine face. Je m'attendais à voir le visage triomphant de Fumero et à sentir
le fil de son couteau sur ma gorge. Un regard croisa le mien et, juste avant de
perdre conscience, je reconnus le sourire édenté et épuisé de Fermín Romero de
Torres.
Je me
réveillai trempé d'une sueur qui me brûlait la peau. Deux mains me soutenaient
fermement par les épaules, en m'installant sur un lit que je crus entouré de
cierges comme pour une veillée funèbre. Le visage de Fermín apparut à ma
droite. Il souriait toujours mais, même dans mon délire, je pus percevoir son
inquiétude. Près de lui, debout, je distinguai M. Federico Flaviá, l'horloger.
– On
dirait qu'il revient à lui, Fermín, dit M. Federico. Si je lui préparais un peu
de bouillon pour l'aider à reprendre des forces ?
– Ça ne
peut pas lui faire de mal. Et pendant que vous y êtes, vous pourriez me faire
un petit sandwich avec ce qui vous tombera sous la main, vu que toutes ces
émotions m'ont donné une faim de loup.
M.
Federico se retira dignement pour nous laisser seuls.
– Où
sommes-nous, Fermín ?
– En lieu
sûr. Techniquement, nous nous trouvons dans un petit appartement de l’Ensanche,
propriété d'une relation de M. Federico à qui
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