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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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réveiller dans un cachot obscur, puis le vide total. Il eut
tellement honte de sa conduite qu'il implora à genoux le pardon de Mme Encarna.
Il lui promit de repeindre toute la pension et, comme il la savait très pieuse,
de faire dire dix messes pour elle à l'église de Belén.
    – La seule chose
que vous avez à faire, c'est de vous rétablir et de ne plus me causer de frayeurs
pareilles, je suis trop vieille pour ce genre d'émotions.
    Mon père paya
les dégâts et demanda à Mme Encarna de donner une seconde chance à Fermín. Elle
accepta di bonne grâce. La plupart de ses pensionnaires étaient de pauvres gens
seuls au monde, comme elle. Une fois passée sa peur, elle fut prise d'un regain
d'affection pour Fermín et lui fît promettre de prendre les pilules prescrites
par le docteur.
    – Pour vous,
madame Encarna, je suis prêt à avaler une brique s'il le faut.
    Avec le temps,
nous affectâmes d'avoir oublié l'incident, mais je n'eus plus envie de me
moquer des histoires de l'inspecteur Fumero. Pour ne pas le laisser seul, nous
emmenions Fermín Romero de Torres presque chaque dimanche casser la croûte au
café Novedades Nous remontions ensuite jusqu'au cinéma Fémina, au coin de la
rue Diputación et du Paseo de Gracia. L’un des contrôleurs était un ami de mon
père, et il nous laissait nous faufiler par l'issue de secours, au milieu des
Actualités, toujours au moment où le Généralissime coupait le cordon inaugural
d'un nouveau barrage, ce qui mettait les nerfs de Fermín Romero de Torres en
pelote.
    – Quelle honte !
disait-il, indigné.
    – Vous n'aimez
pas le cinéma, Fermín ?
    – Si vous voulez
le fond de ma pensée, le cinéma, ça n'est que des
fariboles. Pour moi, il s'agit seulement d'un moyen d'abrutir la plèbe, pire
encore que le foot ball ou les taureaux. Le cinématographe a été
inventé pour amuser les masses analphabètes, et
cinquante ans après sa naissance il n'a pas beaucoup évolué.
    Toutes les réticences
de Fermín Romero de Torres tombèrent d'un coup le jour où il découvrit Carole
Lombard.
    – Quel buste,
Jésus, Marie, Joseph, quel buste ! s'exclama-t-il fasciné, en pleine
projection. C'est pas une paire de nichons, c'est deux caravelles !
    – Fermez-la,
espèce de cochon, où j'appelle le contrôleur, protesta, deux
rangées derrière nous, une voix qui semblait sortir
tout droit d'un confessionnal. C 'est honteux. Quel
pays de porcs !
    – Il vaudrait
mieux parler moins fort, conseillai-je à Fermín.
    Fermín Romero de
Torres ne m'écoutait pas. Il était perdu dans le doux balancement de cette
poitrine miraculeuse, un sourire ravi aux
lèvres, les yeux saturés de Technicolor. Plus tard, en remontant le Paseo de
Gracia, j’observai que notre détective bibliographique n'était pas sorti de sa transe.
    Je crois que
nous allons devoir vous chercher une compagne, dis-je. Vous
verrez qu'une femme mettra de la gaieté dans votre vie.
    Fermín Romero de
Torres soupira, son esprit continuant de rembobiner les merveilles de la loi de
la gravité.
    – Vous parlez
d'après votre expérience, Daniel ? questionna-t-il innocemment.
    Je me bornai à
sourire, sachant que mon père m'observait du coin de l'œil.
    A partir de ce
jour, Fermín Romero de Torres devint un habitué du cinéma dominical. Mon père
préférait rester lire à la maison, mais Fermín Romero de Torres ne manquait pas
une séance. Il achetait un gros sac de chocolats et s'asseyait à la rangée
numéro dix-sept pour les dévorer en attendant l'apparition stellaire de la diva
de service. Il se moquait complètement de l'histoire et n'arrêtait de parler
qu'au moment où une dame venait remplir l'écran de ses attributs considérables.
    – J'ai réfléchi
à ce que vous m'avez dit l'autre jour : qu'il fallait me chercher une
femme, dit Fermín Romero de Torres. Vous devez avoir raison. A la pension, il y
a un nouveau locataire, un ex-séminariste de Séville plutôt déluré, et il amène
de temps en temps des filles dotées d'un châssis du tonnerre. C'est fou ce que
la race s'est améliorée. Je ne sais pas comment s'y prend ce garçon, car il n'a
rien d'un Adonis. Peut-être qu'il les étourdit à force d'Ave et de Pater. Comme ma chambre
est contiguë à la sienne, je n'en perds pas une miette, et à en juger par ce
qu'on entend, le cureton doit être un virtuose. Ou alors c'est le prestige de
l'uniforme. Et vous, les femmes, vous les aimez comment, Daniel ?
    – A vrai dire,
je n'y

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