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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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parfois
chercher Jorge au collège, car M. Aldaya n’aimait pas que
ses enfants restent une seconde sans être surveillés
par quelqu'un de la maison. Jacinta était un a nge. Elle avait entendu dire que nous étions, Julián et moi, d'origine modeste, et elle nous apportait toujours un goûter, convaincue que nous mourions de faim. Je lui disais que mon père était cuisinier, qu'elle n'avait pas à
s'inquiéter, que ce n'était pas la nourriture qui me faisait défaut Mais elle
insistait Je l'attendais parfois, et je parlais avec elle. Je n'ai jamais connu
de femme aussi généreuse. Elle n'avait pas d'enfant, on ne lui a jamais connu
aucun homme. Elle était seule au monde et avait voué son existence à élever les
enfants Aldaya. Elle aimait Penélope de toute son âme. Elle en parle encore...
    – Vous
êtes encore en relation avec Jacinta ?
    – Je vais
parfois lui rendre visite à l'asile de Santa Lucia. Elle n'a personne. Le
Seigneur, pour des raisons qui restent voilées à notre entendement, ne nous
récompense pas toujours dans cette vie. Jacinta est aujourd'hui une très
vieille femme, et elle continue d'être ce qu'elle a toujours été.
    Fermín et
moi échangeâmes un coup d'oeil.
    – Et
Penélope ? Elle n'est jamais allée la voir ?
    Le regard
du père Fernando devint un puits de noirceur.
    – Nul ne
sait ce qui est arrivé à Pénélope. Pour Jacinta,
cette enfant était toute sa vie. Lorsque les Aldaya sont partis en Amérique et
qu'elle l'a perdue, elle a tout perdu.
    – Pourquoi n'ont-ils pas emmené aussi Jacinta ?
Penélope est-elle partie en Argentine, avec le reste de la famille ? demandai-je.
    Le prêtre haussa les épaules.
    – Je l'ignore. Personne n'a jamais revu Penélope ni
entendu parler d'elle après 1919.
    – L'année où Carax est parti pour Paris, observa Fermín.
    – Vous devez me garantir que vous n'irez pas embêter
cette pauvre vieille pour déterrer des souvenirs douloureux.
    – Pour qui nous prenez-vous, monsieur l'abbé ?
protesta Fermín, très digne.
    Se rendant compte qu'il ne tirerait rien d'autre de
nous, le père Fernando nous fit promettre de le tenir au courant de nos
recherches. Pour le rassurer, Fermín s'entêta à vouloir jurer sur un Nouveau
Testament qui était posé sur le bureau du prêtre.
    – Laissez les Évangiles tranquilles. Votre parole me
suffit
    – Vous ne laissez rien passer, n'est-ce pas, mon
père ? Vous êtes terrible !
    – Venez, je vous raccompagne au portail.
    Il nous conduisit à travers le jardin jusqu'à la grille
dont les barreaux avaient la forme de piques, s'arrêta à distance prudente de
la sortie et contempla la rue qui descendait, serpentine, vers le monde réel,
comme s’il craignait de s'évaporer en risquant quelques pas de plus. Je me
demandai depuis combien de temps le père Fernando n’avait pas franchi
l'enceinte du collège San Gabriel.
    – J 'ai eu beaucoup de peine quand j'ai appris que Julián
était mort, dit-il en
baissant la voix. Nous avons été de vrais amis, Miquel, Aldaya, Julien et moi, et mê me Fumero : ce qui s'est passé ensuite, le fait que pis nous soyons perdus de vue, n'y change rien. J’ avais
toujours cru
que nous resterions inséparables, ma is la vie est un mystère. Je n'ai plus jamais eu d 'amis
comme ceux-là,
et je ne crois pas que j'en ret rouverai. J'espère que vous découvrirez ce que vous cherchez,
Daniel.
     
     
     
     
     
    13
     
     
     
     
    La matinée était déjà avancée quand nous arrivâmes sur la promenade de la Bonanova, plongés tous deux dans nos réflexions. J'étais sûr que celles de Fermín étaient concentrées sur la sinistre apparition de l'ins pecteur Fumero dans notre histoire. Je le regardai à la dérobée
et vis son visage consterné, dévoré d'inquié tude. Un voile de nuages noirs s'étendait comme une flaque de sang et répandait des rais de lumière couleur de feuille morte.
    – Si nous ne nous pressons pas, nous allons rece voir l 'averse, dis-je.
    – Pas encore. Ces nuages sont sournois, ils attenant la
nuit.
    – Ne me dites pas que vous vous y connaissez aussi en
nuages.
    – Vivre dans la rue nous enseigne plus choses qu'on ne souhaiterait. La seule pensée de Fumero m’a
donné une faim épouvantable. Que diriez-vous d'aller dans un café de la place
de Sarriá pour y commander deux sandwiches à la tortilla avec beaucoup
d'oignon ?
    Nous nous dirigeâmes vers la place, où une horde de
petits vieux courtisaient les pigeons du

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