Londres, 1200
autre rue qui descendait vers le fleuve, en direction d’une
forteresse dont on apercevait le donjon et les tours. C’était le château
Baynard.
Ils traversèrent la rue de la Tamise à proximité
de ce château et descendirent jusqu’à la grève. Ils passèrent un portail ouvert
dans une vieille palissade et se retrouvèrent sur la berge. C’était le reflux.
Un ponton de bois branlant, posé sur des pieux de chêne, s’avançait dans le
fleuve. Deux barquettes y étaient amarrées et une multitude de cygnes blancs et
noirs nageaient autour d’elles. Sur la grève, des pêcheurs étalaient un filet
et quelques miséreux ramassaient du bois flotté.
À droite se dressaient les hautes tours et les
massives murailles du château Baynard. Devant le fossé, une poignée
d’arbalétriers s’entraînaient sur des cibles de paille, veillant aussi à
qu’aucun navire ne débarque frauduleusement de la marchandise. Non loin d’eux,
une potence avec un corps séché rappelait la haute justice du maître de
Baynard.
Les deux chevaux se dirigèrent vers le ponton et
leurs cavaliers mirent pied à terre.
L’homme qui logeait chez Zareth et qui les suivait
depuis la maison de Nathan hésita à franchir le portail. Il y avait peu de
monde sur la grève et on allait le remarquer, jugea-t-il. Peut-être même le
reconnaître…
— Avance, compaing ! retentit une voix
glaciale derrière lui.
En même temps, l’aviseux [51] recevait un violent coup de pied
dans le dos.
Il trébucha, tomba sur un genou, mais se releva
aussitôt, mains écartées, prêt à se battre avec le gueux qui l’interpellait
ainsi.
Il ne put dissimuler sa surprise en reconnaissant
Robert de Locksley. Involontairement, il se retourna brièvement vers le ponton
pour s’apercevoir que Locksley y était aussi, vêtu de son grand manteau
écarlate, avec son bonnet pointu et son arc.
Son regard hésitant revint aussitôt vers le second
Locksley.
— Avance vers mes compagnons, l’ami !
ordonna le Saxon en lui faisant signe, cette fois avec son épée. Nous avons à
parler.
L’aviseux n’avait d’autre arme qu’un couteau
dissimulé sous son hérigaud. Il devinait qu’il n’aurait aucune chance s’il
tentait de fuir ou de se défendre, aussi prit-il un air craintif avant d’obéir.
— Qui es-tu, l’ami ? s’enquit Locksley
en le faisant avancer, l’épée dans les reins. J’ai l’impression de t’avoir déjà
vu.
En même temps, il se demandait si ce garçon n’était
pas un simple d’esprit. Il avait un air niais et visiblement plus de muscles
que de tête.
— Personne, seigneur ! Je ne sais pas ce
que vous me voulez. Je ne suis qu’un pauvre homme… Je venais ramasser du bois…
Je vous en supplie, laissez-moi partir…
— On va voir ça. Avance, te dis-je.
L’aviseux obéit et marcha vers les quatre hommes
près des chevaux. À quelques toises, il vit qu’il s’était trompé. Celui qui
portait un manteau rouge et un bonnet vert était brun comme Locksley mais plus
petit. En vérité, il ne lui ressemblait guère. De plus, il n’avait pas d’épée,
mais un simple bâton à la taille. Comment Locksley avait-il découvert qu’il le
surveillait ?
— Ruben, rends-moi mon arc, mon carquois, mon
manteau et mon bonnet, dit Locksley en s’adressant à l’homme brun.
Le serviteur de Nathan le Riche déboucla la
ceinture qui tenait le carquois. Les hommes de Locksley étaient derrière lui.
Jugeant l’instant favorable, le suiveur se jeta sur Ruben, écrasant son poing
sur son nez. Le domestique tomba en arrière, bousculant Jehan et entraînant
Cédric et Ranulphe dans sa chute. Déjà l’aviseux avait détalé sur le ponton.
Locksley ramassa l’arc que Ruben avait lâché, mais
le carquois était sous le corps du domestique.
— Par saint George ! Tirez ! Tirez
sur lui ! cria-t-il aux autres, tandis qu’il tentait de dégager une
flèche.
Finalement il parvint à l’encocher. Jehan bandait
son arc. Ranulphe s’était relevé et faisait de même, mais l’aviseux était déjà
au bout du ponton.
Le vacarme devint infernal : les oies, les
canards et les cygnes étaient affolés. Déjà plusieurs palmipèdes déployaient
leurs ailes dans une grande confusion. À l’instant où les flèches partirent,
l’homme se jeta à l’eau au milieu des cygnes qui s’envolèrent bruyamment, dans
une immense nuée piaillante.
L’avaient-ils atteint ?
Ne distinguant rien, Locksley saisit une
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