Londres, 1200
n’ignorait rien de la situation en Anjou où les
partisans d’Arthur, même en déroute, étaient encore nombreux. De plus Arthur avait
le soutien du roi de France et seul le mariage qui aurait lieu à la fin du mois
était susceptible d’éviter une nouvelle guerre.
Le grand justicier craignait par-dessus tout que
le conflit en Normandie et en Anjou s’étende en Angleterre. Or, Robert de Locksley
était saxon et du lignage des rois d’Écosse. Son arrestation ne pourrait
qu’entraîner des troubles tant la coexistence des Saxons et des Normands était
difficile. Que se passerait-il si une révolte éclatait à la suite de
l’emprisonnement de Locksley ? Le roi Jean était un débauché vain et
fourbe qui avait déjà entraîné nombre d’honnêtes barons dans ses turpitudes
avant de les abandonner au bourreau. Fils-Pierre ne tenait pas à ce que sa tête
soit un jour exposée en haut de Drawbridge Gate et il écartait l’idée de devoir
s’enfuir comme son prédécesseur Guillaume de Longchamp. Aider ouvertement
Étienne de Dinant, créature de Jean, l’entraînerait immanquablement dans une
entreprise qui ne lui apporterait que des déboires.
— Je vais faire appeler le gouverneur de la
Tour, proposa-t-il prudemment.
Après quelques coupes de vin, Roger Fitz Renfred,
le constable gouverneur de la Tour, et Guillaume de La Braye, son lieutenant,
entrèrent dans les appartements du grand justicier.
Roger Fitz Renfred avait un visage enjoué avec un
front bien fait et des joues vermeilles dont le bas était couvert d’une barbe
noire, longue et frisée. Il accepta immédiatement une belle coupe de vin qu’il
but d’un trait, tandis que Dinant expliquait une nouvelle fois son affaire.
— Les gens d’armes de la Tour sont à votre
disposition, assura Guillaume de La Braye quand Dinant eut terminé.
La Braye était un homme de haute taille, maigre et
musculeux. La quarantaine passée, la frugalité, l’abstinence de vin ou d’ale et
l’exercice journalier des armes avaient réduit son corps à l’état d’os, de
muscles et de tendons. Il avait le visage froid et indifférent de celui qui
fait pendre les gens sans en éprouver la moindre émotion. Vêtu sans ostentation
de rustiques étoffes anglaises, il portait pourtant sa lourde et large épée
bien en vue comme pour dissuader quiconque de le défier.
— Guillaume a bien parlé ! approuva le
gouverneur en se servant une nouvelle coupe de vin.
— Vous aurez donc les gens que vous voulez,
mais ce sera vous et vous seul qui conduirez cette affaire, laissa alors tomber
le grand justicier.
Dinant hocha la tête en dissimulant un sourire.
Cette réponse lui convenait.
— Voulez-vous que je fasse surveiller les
arrivées des nefs ? demanda Guillaume de La Braye.
— Non, ce serait inutile, car Locksley peut
avoir fait comme moi et avoir débarqué dans un port de la côte. Mais je sais où
il doit se rendre : chez un juif, Nathan le Riche.
— Nathan le Riche est important ici,
intervint Geoffroi Fils-Pierre, légèrement inquiet. Il a prêté de l’argent pour
les travaux du pont et, même s’il est un infidèle, vous ne pouvez le
maltraiter. Les conséquences pourraient en être incalculables.
— Je ne le ferai pas, rassurez-vous. Locksley
va se rendre chez Nathan. Un homme à moi surveillera sa maison et suivra
Huntington.
— Comment fera votre homme pour ne pas être
repéré ?
— Un sergent à vous n’aura qu’à accuser un
des voisins de Nathan d’une faute imaginaire, suggéra Dinant, jamais en manque
d’imagination dans la fourberie. Ce voisin devra ensuite loger mon espion, et
garder le silence sous la menace d’être pendu.
Chapitre 26
A près
six semaines de promiscuité en mer dans un bateau infesté de puces et de poux,
Anna Maria n’avait qu’un désir : se laver. À son lever – son mari
était déjà parti pour Aldersgate –, elle remercia le Seigneur de l’avoir
menée à bon port puis se fit porter une soupe, du miel et des confitures.
Ensuite, elle demanda à la domestique qui la servait si on trouvait des étuves
pour femmes à proximité du Vieux Cygne.
Il y avait d’anciens bains romains au nord du
Vieux Cygne, lui répondit la servante. Les femmes pouvaient s’y baigner dans
d’antiques cuves de marbre emplies d’eau chauffée [53] , mais comme une dame de qualité
ne pouvait s’y rendre seule, Bartolomeo accepta de l’accompagner.
C’est pourquoi Guilhem partit
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