Londres, 1200
seul à la découverte
de la Tour de Londres.
Sorti de l’auberge, il suivit un moment la
bruyante rue de la Tamise bordée de boutiques de bouchers, de poissonniers et
de rôtisseurs. Une foule bigarrée s’y pressait au milieu de poules, canards,
chiens ou porcs errants se vautrant dans les tas de fumier accumulés un peu
partout. Comme dans toutes les villes, auvents et étals des boutiques gênaient
la circulation des chariots et des charrettes.
Beaucoup de monde passait par là pour sortir de la
ville et éviter les encombrements, car, une fois en face de la Tour, on
débouchait sur une prairie où paissaient des moutons. De là, par un chemin, on
pouvait poursuivre jusqu’à Aldgate, une des portes de Londres.
Longeant le fossé entourant la forteresse, Guilhem
arriva devant le grand pont de bois, seule entrée de la forteresse. Aux
alentours se dressaient quelques baraques de planches où des colporteurs, des
marchands de pâtés chauds et des vendeurs de vin ou d’ale proposaient leurs marchandises
aux gens de passage.
Quelques jongleurs en cottes bariolées faisaient
des cabrioles et jouaient de toutes sortes d’instruments pendant que des
charlatans vendaient des potions miracles, des sachets d’orviétan, des opiats
pour les coliques, des électuaires et des onctions contre la gale. D’autres
proposaient de fausses reliques et des images saintes peintes sur parchemin ou
sur des planchettes. L’un d’eux haranguait ainsi la badautaille, faisant rire
les gens à gorge déployée :
J’apporte
ici les oreilles de saint Couillebault,
confesseur,
Et de sainte Velue, sa sœur !
Plus loin, un dresseur de chiens faisait marcher
ses animaux sur les pattes de derrière en jouant du fifre et un briseur de
chaînes gonflait ses énormes muscles, écartant continuellement les mêmes
anneaux de fer tendre.
S’étant fait servir une ale très épaisse à un
étal, Guilhem se mêla aux coquards convaincus par les boniments des uns et des
autres. En même temps, il observait ceux qui passaient par la barbacane.
C’étaient surtout des serviteurs, des marchands ou des gardes. Plus rarement
c’était un digne prélat sur une mule aux harnais décorés de sonnettes d’argent
ou un riche seigneur sur son palefroi, accompagné de ses écuyers et de ses
gens. Arrivés à la barbacane, ceux qui voulaient entrer étaient arrêtés et
interrogés avant de la traverser. Ils passaient ensuite le second pont avant de
pénétrer dans le corps de garde, où ils étaient ensuite sans doute à nouveau
contrôlés.
Il était impossible de tromper une telle
surveillance, jugea Guilhem.
Il songea un instant à interroger les jongleurs.
L’un d’eux était peut-être déjà entré dans la Tour. Puis il se dit qu’il avait
le temps pour le faire. Il était inutile qu’il se fasse déjà remarquer.
Il ne termina pas son ale, trop amère, et reprit
le chemin qui s’écartait du fossé pour passer à proximité d’une église, au
débouché d’une rue parallèle à la rue de la Tamise [54] . L’édifice religieux était
entouré de plusieurs bâtiments, dont une auberge à l’enseigne de sainte
Catherine. Guilhem observa que, de là, on voyait parfaitement ceux qui
passaient sur le pont de la Tour.
D’une charrette attelée à une mule, des frères
lais déchargeaient des tonneaux et des ballots de laine. Le moine qui dirigeait
la manœuvre parut intrigué par cet homme armé qu’il ne connaissait pas et qui
examinait les alentours. Il s’approcha de lui.
— Dieu vous garde, mon père, lui sourit
aimablement Guilhem.
— Voulez-vous prier dans notre église,
seigneur ?
— Je viendrai dimanche, mon père.
J’accompagne un noble baron qui arrive de Normandie.
— Avez-vous connu le roi Richard ?
— Oui-da, mon père.
— Cette chapelle (il désigna un édifice
accolé à l’église) a été construite par Richard. L’église de Tous les Saints
dépend de l’abbaye de Barking [55] dont je suis le frère tourier.
— Que le Seigneur protège Richard dans son
paradis, fit Guilhem, qui n’en pensait pas un mot.
— Qu’il le protège ! conclut le moine en
se signant et en retournant à son chargement.
Guilhem poursuivit jusqu’au vieux mur romain
ponctué de tours rondes. Il passa non loin d’un gibet, sur les bois duquel se
tenaient de voraces corbeaux dévorant avec appétit les visages d’un couple de
pendus, et parvint à une vieille porte romaine fortifiée par un
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