Londres, 1200
mais or ne m’aimment grain.
De beles armes sont ores vuit li plain
Por tant que je suis pris.
Suer comtessa, vostre pretz sobeiran
Sal dieus, e gard la bella qu’ieu am tan,
Ni per cui soi ja près.
Le chant du royal prisonnier avait attiré encore
plus de monde. Une foule enthousiaste se pressait maintenant autour de Guilhem
et quand il eut lancé un dernier son en pinçant une corde, les vivats
crépitèrent et les pièces tombèrent en pluie autour de lui.
Le seigneur aux yeux de braise dit quelques mots à
un de ses pages et celui-ci, après avoir fouillé dans une escarcelle,
s’approcha et lança un penny d’argent.
Puis il donna l’ordre aux oriflammes d’avancer et
le cortège prit le chemin du pont qu’il traversa, sans que personne ne dise mot
aux ménestrels.
Bartolomeo ramassa les pièces et proposa à son
maître d’acheter quelques pâtés chauds et des pâtisseries. Ils s’installèrent
sur une souche avec Anna Maria, rejoints bientôt par des admirateurs, car,
comme chacun sait, celui qui fait un spectacle ne peut empêcher son public de
venir lui parler.
— Tu as captivé le seigneur comte
d’Oxford ! s’exclama l’un d’eux à Guilhem. Peu de jongleurs y sont
parvenus !
— Ce seigneur était le comte d’Oxford ?
interrogea Anna Maria. Le grand chambellan d’Angleterre ?
— Oui, gente dame. C’était Aubrey de Vere qui
rentrait d’une cour de Justice [58] .
Guilhem apprécia, mais il n’en était guère
satisfait. Qu’il ait captivé l’un des barons qui logeaient dans la Tour,
c’était bien, mais cela n’avait pas fait avancer ses affaires. Il lança
plusieurs regards vers l’auberge de Sainte Catherine. Robert de Locksley et ses
compagnons étaient attablés dehors et les surveillaient. Il soupira et, quand
ils eurent fini de manger, il proposa à Anna Maria et à son frère de ne
reprendre leur spectacle que dans une heure ou deux. Il avait besoin d’une
sieste.
C’est dans l’après-midi que Ranulphe, qui s’était
éloigné de l’auberge pour mieux surveiller les allées et venues depuis la Tour,
remarqua la troupe de seigneurs qui sortait du corps de garde et s’engageait
sur le pont conduisant à la barbacane. Ils étaient à pied, armés et nombreux.
L’écuyer prévint immédiatement son seigneur et ses compagnons, qui se levèrent.
Devaient-ils s’inquiéter ? Observant le
groupe de nobles qui franchissait le second pont, Robert de Locksley remarqua
qu’ils étaient en robes et manteaux. Armés, certes, mais sans haubert, écu ou
casque. Il n’y avait avec eux qu’une dizaine de gardes en salade et camail avec
des arcs et des lances. Malgré cela, il décida de s’approcher, restant
cependant à une distance telle qu’on ne puisse le reconnaître, car il pouvait
bien y avoir parmi eux quelque Normand qu’il ait rançonné à Sherwood ou connu
en Palestine.
Allongé dans l’herbe, Guilhem se reposait. Non
loin de lui, Anna Maria plaisantait avec son frère. Leurs instruments étaient
sur leurs manteaux, à côté de quelques flacons de vin et des reliefs de leur
repas.
Dès qu’il entendit la troupe, car les seigneurs
parlaient bruyamment entre eux, Guilhem se leva, brusquement sur ses gardes. Il
lança un regard vers l’auberge et constata que Robert de Locksley était aussi
aux aguets.
De nouveaux badauds s’étaient rassemblés mais ils
restaient à une distance respectueuse, simplement curieux de savoir ce que
voulaient les barons.
Les écuyers et les pages, en tête du cortège,
s’écartèrent, laissant la place à trois hauts seigneurs. Tous avec des
ceinturons aux boucles ciselées et de larges et lourdes épées.
Parmi eux, il y avait le grand chambellan, Aubrey
de Vere, qui avait donc changé son haubert pour une robe brodée à ses armes. Il
fit quelques pas lents et imposants vers Guilhem.
— La paix de Dieu soit avec toi, jongleur. Ta
ballade m’a étrangement ému, lança-t-il d’une voix grave et majestueuse.
Son compagnon, un seigneur à la barbe noire,
longue et frisée et dont la rougeur des joues trahissait le goût pour la dive
bouteille, demanda d’une voix avinée :
— Quel est ton nom, gentil jongleur ?
— Guilhem Adémar, nobles seigneurs. Je viens
d’Albi.
— Que viens-tu faire ici ? s’enquit le
troisième, sévèrement.
À son maintien hautain, c’était visiblement un
homme qui ne savait parler que sévèrement.
Grand, maigre et musculeux, les deux mains
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