Londres, 1200
prévenu qu’elle ne l’épouserait jamais. Comme son père, elle
deviendrait Parfaite et suivait la règle de saint Luc : Ceux qui seront
jugés dignes d’avoir part au siècle à venir et à la résurrection des morts, ne
se marieront point. Elle lui répétait d’ailleurs que le mariage n’était
qu’une forme autorisée de la lubricité. En revanche, disait-elle, la luxure
préservait la sauvegarde de l’âme. C’est pourquoi, quand ils se retrouvaient
sur une couche, elle lui murmurait :
— La chair ne peut pécher puisqu’elle est
déjà péché.
Tout avait commencé au printemps. Venu en France
avec son épouse Anna Maria afin d’obtenir l’intercession de la duchesse Aliénor
pour une réduction des impôts écrasants qui frappaient son domaine de
Huntington – une manœuvre du prince Jean, contre lui –, Robert de
Locksley avait accompagné à Châlus la mère de Richard Cœur de Lion près de son
fils mourant, atteint d’un carreau d’arbalète.
Mais là-bas, celui qui avait si durement combattu
le prince Jean et ses suppôts dans la forêt de Sherwood sous le surnom de Robin
Hood, avait été injustement accusé de vol et avait dû s’enfuir pour échapper à
la mort. Anna Maria était alors partie à Toulouse chercher Guilhem et son frère
Bartolomeo. Tous trois avaient fait route pour Paris à la recherche de Robert.
Ils l’avaient retrouvé, protégé par des tisserands cathares, et avaient
découvert que la mort de Richard Cœur de Lion n’était que le prélude d’un plus
vaste complot ourdi par des templiers à la solde du prince Jean qui préparaient
aussi l’assassinat de Philippe Auguste.
Guilhem et Robert étaient parvenus à sauver la vie
du roi de France, mais les tisserands avaient été arrêtés comme hérétiques.
Guilhem avait pourtant obtenu leur grâce en s’engageant à les conduire dans le
comté de Toulouse, où leur foi n’était pas persécutée.
Ils étaient vingt-six cathares, en comptant les
épouses, les servantes, les enfants et les nourrissons. Ils n’avaient presque
rien emporté, sinon quelques vêtements, des pièces d’étoffe, de quoi cuisiner
et leur literie. Outre Sanceline et son père Enguerrand, il y avait sept
familles dont quatre de tisserands : Jehan le Flamand, colosse roux, qui,
malgré sa foi avait accepté de porter broigne maclée et épieu, le gros Bertaut,
Noël de Champeaux et ses fils, et enfin Estienne, le gendre de Bertaut. Les
autres étaient Thomas le cordonnier, Geoffroi le tavernier, qui avait abandonné
son cabaret, et enfin Aignan le libraire qui, avec sa femme et ses deux grands
garçons, tenait une boutique de parchemins.
Le chef de leur communauté était le Parfait
Enguerrand, ancien syndic de la Guilde des tisserands du Monceau-Saint-Gervais.
Parmi les femmes, outre Sanceline, il y avait trois servantes, la femme de
Jehan le Flamand – aussi rousse que lui –, celle du gros
Bertaut – aussi grosse que son mari –, la fille de Bertaut, qui
serait bientôt aussi dodue que ses parents, la sœur de Thomas – bonne
couturière –, et enfin l’épouse d’Aignan qui savait lire, comme Sanceline.
Bien sûr, la seule cathare qui comptait pour
Guilhem était la fille d’Enguerrand. C’était uniquement pour elle qu’il s’était
engagé à conduire la petite communauté dans le pays albigeois.
Ce matin-là, Guilhem et Robert de Locksley,
accompagnés d’Anna Maria, de Bartolomeo et de Ranulphe de Beaujame, l’un des
deux écuyers de Locksley, s’étaient rendus au palais des ducs d’Aquitaine, une
massive construction érigée sur l’ancienne muraille romaine.
Comme tous les vassaux d’Aliénor, ils avaient
attendu dans la grande salle – la plus grande de la chrétienté –
décorée de colonnettes avec des têtes grimaçantes. Enfin la duchesse
d’Aquitaine était arrivée. À soixante-quinze ans, l’ancienne religieuse de
Fontevrault avait pris l’habit d’un chef de guerre impitoyable.
Aliénor avait convoqué le ban de ses vassaux pour
qu’ils lui renouvellent l’hommage féodal. En ces temps anciens, l’hommage
n’était pas seulement une cérémonie. Il marquait l’engagement de celui qui se
donnait à un suzerain auquel il promettait service et fidélité. En échange, le
suzerain offrait sa protection et concédait parfois un fief. Tous les vassaux
d’Aquitaine avaient prêté hommage à Richard après la mort de son père
Henri II , l’époux
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