Londres, 1200
et je devine que vous avez subi bien
pire que vous ne le dites. Quant à toi, Guilhem, ta vaillance et ton adresse
m’ont manqué, sache-le. Mais tes épreuves ne sont pas entièrement terminées,
bien que je sois persuadé que tu surmonteras les dernières. Pendant que l’on
dresse la table, j’ai à te parler. Ton ami le comte de Huntington peut
t’accompagner. C’est au sujet de ton fief de Lamaguère.
Guilhem ressentit un picotement dans le dos.
Raymond allait lui annoncer de mauvaises nouvelles.
Ils suivirent le comte dans sa chambre du premier
étage, immense pièce meublée d’un lit à colonnes aux épais rideaux brodés aux
armes de Toulouse. Sur les murs alternaient tapisseries et panoplies d’armes,
où dominaient écus et haches. Dans une belle armoire en olivier, à la façade
décorée d’arcatures et de colonnettes, le comte rangeait ses chartes. Il y
avait aussi plusieurs bahuts, de gros coffres couverts de cuir, une chaise
polygonale, des bancs aux hauts dossiers finement ciselés, et des escabeaux.
Enfin, près du lit, se dressait un lutrin sur lequel reposait un livre
enluminé, ouvert.
Un feu ronflait dans la cheminée.
Quand ils entrèrent, le domestique présent sortit
par une autre porte.
Raymond s’assit sur la chaise polygonale et
désigna le banc à ses invités.
— Après ton départ, dit-il, j’ai fait porter
par Sicard, au comte d’Armagnac, les mille sous d’or que tu m’avais laissés,
comme on en avait convenu…
« C’est Sicard qui a prêté hommage à Géraud
d’Armagnac en ton nom, et c’est à lui que le comte a donné l’investiture du
fief, poursuivit Raymond. Bien sûr, tu devras renouveler l’hommage en te
rendant près de lui, mais le fief t’appartient depuis le jour de la cérémonie.
Voici le couteau que le comte a remis à Sicard.
Il désigna une belle lame ciselée posée sur un
coffre. L’arme symbolisait le fief. Par sa possession, Guilhem, désormais
vassal d’Armagnac, était vêtu du fief et protégé des troubles provoqués par
autrui.
— À son retour, poursuivit le comte, j’ai
envoyé Sicard à Lamaguère avec un maître maçon pour qu’il y fasse les travaux
nécessaires afin que tu puisses y loger. Mais quand ils sont arrivés, ton
château était déjà en travaux et occupé.
— Occupé ? Par qui ? s’exclama
Guilhem, sidéré.
— Par des templiers. Tu sais qu’ils possèdent
le moulin sur l’Arrats, en contrebas du château, et qu’ils ont édifié une
église fortifiée à cet endroit. Il s’agit d’un aleu détaché de ton fief par le
grand-père d’Armagnac pour la commanderie de Bordères.
— Mais ils n’ont aucun droit sur mon château,
ni sur mon fief !
— Aucun, sinon celui d’y être ! Celui
qui s’en dit le seigneur se nomme Rostain de Preissac. Il a montré à Sicard une
charte de l’archevêque d’Auch l’autorisant à exploiter le fief s’il versait une
redevance de dix marcs d’argent.
— Combien sont-ils là-bas ? intervint
Locksley qui ne portait pas les templiers dans son cœur depuis l’affaire de
Paris.
— Je l’ignore, mais le château est petit. Pas
plus d’une dizaine.
— Et au moulin ?
— Trois ou quatre, avec des serviteurs,
répondit Raymond en haussant les épaules. Sicard aurait pu t’en dire plus, mais
je l’ai envoyé à Narbonne.
Le comte eut une grimace d’embarras.
— J’aurais pu envoyer un détachement d’hommes
d’armes, Guilhem, mais tu devines pourquoi je n’en ai rien fait. Armagnac et
Auch se sont déjà étripés pour cette terre et je ne veux pas m’en mêler. Les
templiers le savent et misent sur leur puissance pour rester sur place. C’est
donc à toi seul de faire reconnaître tes droits, mais, quoi que tu fasses, je
te soutiendrai.
— J’ai l’investiture de mon fief, opina
Guilhem avec assurance, et je châtierai à ma façon ceux qui l’occupent.
— Oui, mais sois prudent, Ceux qui sont à
Lamaguère recevront l’aide de leur commanderie de Bordères, qui est vassale
d’Aliénor.
— Ce sera dommage pour eux s’ils refusent de
s’en aller, dit seulement Guilhem d’une voix si glaciale qu’elle fit frissonner
le comte de Toulouse.
Chapitre 9
E n
s’arrêtant à Saint-Gilles, Guilhem avait envisagé d’y rester un jour ou deux
pour connaître les décisions du comte au sujet des cathares, après la demande
d’Innocent III exigeant de les
chasser. Raimond de Toulouse aurait aussi voulu plus
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