Londres, 1200
animaux sauvages. Trois femmes en bliaut grossièrement
tissé et en souliers à semelles de bois tiraient de l’eau d’un puits en
caquetant.
L’une d’elles, la plus âgée, avait par-dessus son
bliaut une sorte de garde-corps en laine rêche écrue. Toutes trois portaient un
chaperon leur couvrant les épaules. On n’apercevait pas leurs cheveux qui
devaient être tressés. En voyant la troupe entrer dans la cour, elles prirent
peur et deux d’entre elles s’enfuirent dans la ferme, mais la troisième tenait
le seau et ne put s’éloigner à temps.
Déjà Bartolomeo était près d’elle.
— N’ayez crainte, gente dame, lui dit-il,
voici votre seigneur, le sire Guilhem d’Ussel, qui veut rencontrer Alaric.
— Mon frère est dans l’étable, répondit-elle,
toujours terrorisée. Il soigne une vache… là-bas…
Elle désigna un bâtiment.
— Allez le chercher, commanda gentiment
Bartolomeo.
Elle posa le seau et partit en courant, tandis que
les cavaliers descendaient de cheval pour se rendre vers l’abreuvoir en bois.
Deux hommes sortirent alors de l’étable avec la femme.
La quarantaine, râblés, barbus, le visage tanné, hirsutes et farouches, ils se
ressemblaient vaguement. En sabots et braies, ces sortes de pantalons serrés
par des lanières que l’on portait entre Toulouse et Bordeaux, chacun
brandissait une redoutable fourche. Un chapeau à large bord leur couvrait la
tête sans dissimuler des fronts hauts et d’épaisses arcades sourcilières.
Guilhem s’approcha d’eux et salua la sœur d’Alaric
qui parut rassérénée et même flattée. Il s’adressa alors aux hommes.
— Je suis Guilhem d’Ussel, votre seigneur.
— Seigneur, firent-ils en posant un genou au
sol. Je suis Alaric, et lui c’est mon cousin Ferrand.
Guilhem leur tendit ses mains et ils y placèrent
leurs pouces, engageant leur foi.
— Vous savez que les templiers occupent mon
château.
— Oui, seigneur, ils sont passés réclamer le
cens.
— Vous le leur avez donné ?
— Pas encore, seigneur. Nous nous sommes
assemblés, tous les fermiers, et avons demandé un délai.
— J’ai besoin de vous. On m’a dit que vous
étiez fidèle à Armagnac.
— C’est vrai, seigneur. Il y a des années,
j’étais sergent d’armes au château avec le précédent seigneur.
— Et maintenant, tu es fermier ?
s’étonna Guilhem.
— Quand la querelle a éclaté avec Auch,
l’archevêque a envoyé une troupe si nombreuse que le seigneur du comte
d’Armagnac s’est rendu. Nous autres, ses gardes, avons rejoint nos familles
dans les manses. Celle-là était à moi et à mon cousin.
— Ensuite Armagnac est revenu se
venger ?
— Oui, il a repris le château aux gens de
l’archevêque et durant le siège, le feu a pris dans les hourds et dans la
charpente de la salle.
— Qui d’autre était de garde avec toi ?
— Il y avait Pons, Garin, Gaillard et
Boniface et Bruniquel.
— Où sont-ils ?
— Ils ont tous une manse, seigneur, à part
Boniface qui est garde chez un changeur à Auch et Bruniquel qui est au prieuré.
— Rassemble ceux qui sont ici, sauf Bruniquel
qu’on ne laissera pas partir. Rends-toi dans toutes les manses. Que tous les
hommes du fief me rejoignent au moulin, laboureurs et serviteurs. Pour
l’instant, il ne s’agit pas de se battre mais de se montrer, car je préférerais
que les templiers vident les lieux sans que le sang coule. Vous, les anciens
gardes, armez-vous avec ce que vous avez. Ceux qui combattront recevront huit
deniers parisis par jour. Les gages d’un sergent à pied, et je prêterai
l’équipement. Les serfs qui se battront seront affranchis.
— Nous y allons, seigneur, fit Alaric, le
regard brillant de plaisir, mais à pied, il nous faudra la journée pour faire
le tour des manses.
— C’est vrai. Vous savez monter ?
— Bien sûr, seigneur !
— Prenez deux de ces chevaux. Enlevez ce
qu’ils portent et choisissez ce dont vous avez besoin. Je veux que tout le
monde soit au moulin pour none.
Pendant que les Saxons détachaient les écus, les
haches et les broignes, Alaric et son cousin se rendirent à la ferme pour
revenir rapidement avec une vieille cuirasse, un coutelas, une hache et une
salade cabossée. Guilhem les laissa prendre un ceinturon, une épée, une
rondache et un camail pour protéger leurs épaules, puis ils sautèrent en selle
et partirent.
Guilhem et sa troupe prirent alors la direction
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