Londres, 1200
du
moulin.
Chapitre 10
L e
château de pierre blanche, avec une tour d’angle et une palissade, se dressait
sur une butte dominant une vallée bordée de part et d’autre de bois séculaires
et de taillis touffus.
À bonne distance, au moins deux cents toises
parisiennes ou deux cent cinquante cannes toulousaines, le chemin faisait une
fourche. Tout droit, il continuait vers le château, tandis que vers la droite,
il franchissait la rivière et rejoignait la route d’Auch. Un gué permettait de
passer l’Arrats et, de l’autre côté, les templiers avaient érigé une église
fortifiée et un moulin à roue sur l’alleu [28] détaché du fief. Les templiers devaient au seigneur un bénéfice d’un boisseau
de seigle et d’un boisseau d’orge ainsi qu’un mouton, mais les paysans des
manses devaient y porter leurs grains à moudre et renoncer à leur moulin
personnel. En échange, ils pouvaient prier à l’église.
Arrivé à la fourche avec sa troupe, Guilhem savait
qu’un guetteur pouvait les avoir repérés depuis la tour d’angle, mais rien
n’était moins certain, car le chemin était bordé d’arbres aux hautes ramures.
Et quand bien même ils auraient été repérés, il était peu vraisemblable que les
templiers prennent le risque d’envoyer un détachement, alors qu’ils n’étaient
qu’une dizaine.
La troupe passa le gué en faisant le moins de
bruit possible. Les murs de l’église dépassaient la cime des arbres, sans une
seule ouverture apparente, sinon des meurtrières. C’était un édifice
rectangulaire, sans clocher. En face, au bord de l’eau, la grosse roue du
moulin tournait inlassablement dans un clapotis incessant.
Ils s’approchèrent. Deux frères lais
transportaient des sacs sur une charrette à laquelle était attelé un bœuf. Un
chevalier du Temple, en manteau blanc à la croix sur l’épaule, se retourna en
entendant les martèlements des sabots. Il les considéra, interdit, tant il
s’attendait peu à voir des gens armés.
En un instant, ils entourèrent la charrette,
tandis que Locksley, Ranulphe et les deux archers filaient vers l’église.
— Que voulez-vous ? demanda le Templier,
d’une voix cassée par l’inquiétude.
Il devait avoir vingt ans et n’avait jamais dû se
trouver dans cette situation.
— Combien êtes-vous ici ? demanda Guilhem.
— Dites-moi plutôt qui vous êtes…
— Regun, Bartolomeo, entrez avec Jehan et
faites sortir tout le monde ! ordonna Guilhem sans lui répondre.
Il ne souhaitait pas que les autres cathares
soient obligés de se battre.
— Quant à toi, poursuivit-il à l’intention du
jeune templier, détache la boucle de ta ceinture et laisse tomber ton épée.
— Vous ignorez ce que vous êtes en train de
faire et à qui vous vous adressez ! rétorqua le moine soldat, l’arrogance
retrouvée.
Guilhem détacha la hache de sa selle et fit
avancer son cheval de trois pas en la brandissant.
— J’ai déjà tué des templiers, mon garçon,
crois-moi, laissa-t-il tomber d’une voix sans timbre.
Terrorisés, les deux frères servants s’étaient
serrés près du bœuf comme si le puissant animal pouvait les protéger.
Le jeune templier était devenu de la couleur de
son manteau. S’efforçant de garder une main ferme, il l’écarta et défit
lentement la boucle du ceinturon. Puis il saisit le fourreau et la ceinture
pour les poser sur le chariot, tout de même à portée de main.
Un grand vacarme retentit alors à l’intérieur du
moulin, puis ce furent des cris et les battements métalliques des lames qui
s’entrechoquaient. Soudain, tout s’apaisa et l’on n’entendit plus que les
clapotements réguliers de la roue et le ronflement des meules.
Thomas le cordonnier, Geoffroi le tavernier et
Aignan le libraire étaient descendus de cheval et attachaient les trois
prisonniers avec des cordelettes quand Locksley arriva avec ceux qu’il avait
capturés dans l’église : un chevalier âgé en cotte d’armes dalmatique
descendant aux genoux et manteau du Temple sur les épaules, un chapelain en
robe blanche et deux servants.
— Victoire totale, Guilhem ! clama
Locksley dans un grand rire. Ils se sont rendus sans même se défendre !
— Qu’on les entrave et qu’on leur ôte armes
et soliers , ordonna Guilhem, et que tous aient une hart au cou.
Trois hommes sortirent du moulin. Des ouvriers ou
des frères servants en cotte grise enfarinée, les cheveux sous une
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