Londres, 1200
une
grue noire farcie, il ordonna à un écuyer tranchant qu’on la dépose devant lui,
suscitant une réprobation générale, mais silencieuse.
Les vins étaient servis avec diligence. Coupes et
hanaps se vidaient sitôt qu’ils étaient remplis. Les femmes n’étant pas les
dernières à écluser leur gobelet de vin de Bordeaux. Entre les tables, des
jongleurs faisaient des cabrioles et jouaient des pantomimes qui paraissaient
n’intéresser personne.
Guilhem mangeait peu et buvait encore moins. La
présence inattendue de Mercadier l’inquiétait. Sans doute avait-il
l’imagination trop fertile, mais puisqu’ils ne quitteraient Bordeaux que dans
l’après-midi du lendemain, ils se trouveraient à la merci de cet homme qui
semblait avoir tous les droits. En envisageant le pire, que se passerait-il si
le routier envoyait une troupe pour les massacrer à leur auberge ?
Pouvaient-ils demander au sénéchal de Gascogne de les protéger ?
Juge des appels, celui-ci présidait la cour de
justice et était chargé de faire respecter la loi dans le duché.
Il interrogea alors son voisin, un riche marchand
qui lui avait déjà désigné l’archevêque de Bordeaux, et lui demanda de lui
indiquer où se tenait le sénéchal. Celui-ci était justement assis à côté de
l’archevêque. L’obligeant voisin lui montra aussi le prévôt de Bordeaux, appelé
aussi prévôt de Saint-Éloi, qui traitait des affaires concernant les bourgeois
de la ville, et le prévôt de l’Ombrière dont la juridiction était limitée au
château et à la cour.
Près d’eux se trouvait un jeune homme blond aux
yeux clairs et au maintien affecté. Le marchand ne le connaissait pas, mais il
savait que c’était un chevalier de la cour du roi Jean. Guilhem l’observa un
moment. Le jeune homme utilisait un couteau à manche d’argent et demandait
régulièrement une aiguière pour garder les mains propres. À côté de lui, son
compagnon avait un visage de sottard. Ils allaient bien ensemble, songea
Guilhem avec ironie. L’un frivole et l’autre coquard. C’étaient bien les
créatures de Jean.
Guilhem posa ensuite quelques questions sur le
rustre arrivé en retard et qui se servait des meilleurs plats, feignant
d’ignorer qui il était. Le marchand lui répondit à voix basse et en baissant
les yeux, comme s’il craignait d’être entendu.
— C’est le capitaine Mercadier, seigneur. Il
fait ce qu’il lui plaît ici. Ceux qui se sont opposés à lui, il les a noyés
dans la rivière ou les a fait disparaître. Le sénéchal est impuissant devant
lui.
— Habite-t-il en ville ?
— Oui-da, pas très loin du château, rue
Sainte-Catherine, devant l’église Saint-Projet. Pour que nul n’ignore sa
présence, il a fait suspendre sur sa façade une oriflamme avec un dragon aux
ailes déployées.
— Et ses troupes ?
— Beaucoup de ses maraudeurs logent chez les
habitants où ils mangent et rapinent leurs biens. Le reste est sous des tentes,
à une dizaine de lieues. Nous autres, pauvres bourgeois, devons
l’approvisionner chaque jour que Dieu fait !
Guilhem considéra à nouveau le chef des routiers
brabançons, mais celui-ci ne s’intéressait plus à eux. On avait emmené les
restes des oiseaux qui seraient portés aux écuyers et aux sergents dans la
salle des gardes, puis donnés à la servantaille, et on apportait maintenant
toutes sortes de poissons dont d’énormes brochets qui suscitèrent une fois
encore l’admiration des convives. Toujours aussi insolent, Mercadier se fit
porter le plus gros dans lequel il plongea les mains pour en arracher la
meilleure part, puis il saisit quelques échaudés qui passaient à sa portée.
— Crois-tu que nous devons craindre
Mercadier ? demanda finalement Guilhem à Locksley.
— Tu as vu comment il se comporte ? Il a
tous les droits ici ! laissa tomber Locksley avec mépris, mais je ne crois
pas qu’il s’en prendra à moi. Il va se renseigner et il saura qu’Aliénor m’a
fait venir. Tant qu’elle sera là, il ne fera rien. Or, demain, nous serons
partis. Quant à toi, il n’a pas de raisons de t’en vouloir, tu l’as quitté,
mais tu ne t’es pas opposé à lui. De plus, il ignore où nous logeons.
Robert disait sans doute vrai, se dit Guilhem, il
n’empêche que quelques précautions allaient être nécessaires.
— Partons dès que les premiers invités
quitteront la table, proposa-t-il. Je ne veux pas que Mercadier sorte avant
nous pour
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