Londres, 1200
le pilote pour surmonter le bruit des vagues.
— Non.
— Parce que la terre est ronde, comme deux de
vos casques mis l’un contre l’autre ! s’exclama le capitaine en riant.
— Ronde ? Mais comment serait-ce
possible ? Il est insensé de penser qu’il puisse exister des lieux où les
choses seraient suspendues de bas en haut ! rétorqua Guilhem.
— Nous faisons pourtant partie de ces choses,
et seul Notre Seigneur pourrait nous expliquer ce prodige.
Guilhem s’abîma dans le silence, méditant sur ce
qu’il venait d’entendre.
Il prit alors conscience qu’il était moins
ballotté et que les vents perdaient de leur fureur. La lumière revenait aussi,
car il distinguait les tonneaux sur le pont. C’était l’aube. Soudain, le calme
revint et le soleil apparut sous les noirs et épais nuages qui couvraient le
ciel.
Quelques instants plus tard, les marins sortirent
par l’écoutille et le pilote retourna sur le gaillard d’avant. Le navire était
toujours agité par la houle et le capitaine fit déferler la grand-voile pour
stabiliser la course du bateau pendant que deux marins examinaient les dégâts
causés par la tempête.
Les autres voyageurs sortirent à leur tour.
Guilhem monta avec Robert sur le château arrière pour contempler la mer autour
d’eux. Le ciel était bas et gris et se confondait avec les flots. Ils
attendirent que le soleil monte mais quand la lumière fut suffisante, ils ne
découvrirent que l’immense espace de l’océan.
Désespérés, ils furent la journée entière privés
de toute terre. Enfin, le soir, le pilote cria :
— Terre en vue !
C’étaient de sinistres falaises, noires comme
l’enfer. Le capitaine mit quand même le cap dessus. Le vent les portait de
travers et ils durent jeter l’ancre à la nuit, encore loin de la côte.
Heureusement, ils ne dérivèrent pas et, le lendemain, les sombres falaises
étaient toujours là.
Ils les longèrent durant deux jours. D’après le
soleil et les étoiles, la terre était au nord, ce ne pouvait être que
l’Angleterre, du moins l’espéraient-ils.
C’était bien le cas et le capitaine reconnut enfin
la Cornouailles. Deux jours plus tard, ils entraient dans le port de
Portsmouth.
Ayant vendu une dizaine de tonneaux, ils
repartirent sous un grain, mais le vent les portait en direction de la France.
Chapitre 22
L e
dimanche 7 mai, ballottée depuis le matin par une méchante houle, la nef
parvint à se mettre à l’abri dans l’anse de Mergate où les batels de pêcheurs
étaient tous tirés haut sur la grève. Ce n’était qu’une médiocre protection,
mais une fois les deux grosses ancres de pierre jetées au fond, la gigue folle
du bateau se calma.
Depuis le début de l’après-midi, un vent du sud
très violent s’était levé et, durant plusieurs heures, le capitaine avait dû se
faire aider par deux hommes pour tenir la barre et éviter que la nef ne soit
jetée sur la côte rocheuse. Après la grande tempête au large de la Bretagne,
c’était la deuxième fois que les passagers avaient cru leur dernière heure
arrivée, aussi, quand ils mirent pied à terre, transportés par la barcasse d’un
pêcheur qui vint les chercher, Anna Maria et Jehan tombèrent à genoux pour une
action de grâce.
Il y avait une maison, moitié ferme et moitié
auberge, où ils purent avaler une grossière bouillie d’avoine et passer une
nuit calme. Mais le lendemain, le vent n’ayant pas faibli, ils ne purent
repartir au lever du jour. Vers midi, la mer étant étale, le capitaine vint
enfin les chercher après avoir ravitaillé en eau et provisions. Venant du
levant, les bourrasques restaient fortes, mais, conjuguées avec le flux, elles
les porteraient dans l’estuaire.
À l’aide des rames, la nef s’éloigna de la côte
et, dès qu’il fut sous le vent, le capitaine largua la voile et y ajouta les
bonnettes. Aussitôt la barque cingla à vive allure au plus profond de
l’estuaire. Sur le château avant, le pilote criait sans cesse des alertes au
capitaine qui tenait la barre, le danger venant des innombrables bancs de sable
et des hauts-fonds qu’il distinguait d’après la couleur de l’eau.
Ils naviguèrent ainsi jusqu’à la nuit et jetèrent
l’ancre dans une anse profonde tandis que le reflux commençait. N’ayant pas de
moyen pour gagner la terre, ils restèrent à bord pour la nuit, dormant sur le
pont et sous le château arrière. C’était une pénible
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