Londres, 1200

promiscuité, mais ils
commençaient à en avoir l’habitude.
    Ils furent réveillés avant l’aube par la pluie. La
marée remontait et le vent s’était calmé. Le capitaine fit allumer des
lanternes et ils reprirent l’estuaire, avançant maintenant avec précaution en
utilisant les rames. La marée les porta ainsi jusqu’au milieu de la matinée,
ensuite une brise se leva à nouveau et la nef mit à la voile.
    Désormais, ils apercevaient distinctement les
berges. La nef jeta l’ancre en soirée et ce fut une nouvelle nuit à la belle
étoile. La pluie n’avait pas cessé et ils se serrèrent sous le château arrière
et dans une tente tendue entre les tonneaux qui restaient sur le pont.
    Le mercredi, malgré les courants et la présence de
bancs de sable, la nef continua à remonter le fleuve à bonne allure tant que le
flux la porta. Mais au débouché d’une rivière – la Deptford – et
comme la marée se mettait à descendre, les rameurs furent mis à la nage, car la
barque devait emprunter un étroit chenal qui longeait la rive. Du doigt, Locksley
montra les terres et les bois proches en expliquant avec amertume que c’était
un ancien domaine saxon donné à l’église Saint-Peter de Gant. L’endroit
s’appelait Greenwich. Les moines avaient édifié un moulin à eau un peu plus
haut, sur la Deptford, après avoir chassé ou mis en servitude les Saxons qui
occupaient les lieux les premiers.
    Guidée par le pilote, la nef passa cette
embouchure et regagna le milieu du fleuve qui faisait maintenant de vastes
méandres. C’est à la sortie d’une de ces courbes qu’ils aperçurent, au-dessus
des cimes des arbres, d’épaisses fumées ne pouvant provenir que d’une
importante ville. Le flux de la marée continuait à descendre, laissant exposées
de larges plages de vase le long des rives. Guilhem se demandait s’ils auraient
assez d’eau pour continuer, mais le capitaine le rassura, lui confirmant quand
même que l’écart entre les hautes et les basses eaux pouvait atteindre trois
toises.
    Comme la ville était proche, Locksley proposa à
Guilhem de monter sur le château avant pour être les premiers à l’apercevoir.
Ils grimpèrent à l’étroite échelle et le pilote leur fit une petite place près
de lui.
    — Dans combien de temps serons-nous à
Londres ? demanda Guilhem.
    — Après cette courbe, vous verrez la Tour,
juste avant la Cité, laissa tomber le marin.
    Effectivement, le lit de la rivière s’élargit
brusquement et ils aperçurent au loin un amoncellement innombrable et confus de
maisons aux toits de chaume d’où dépassaient de grands clochers carrés. Un pont
de pierre, précédé d’un pont de bois brisé, semblait barrer complètement la
Tamise, mais ce n’est pas lui que Robert de Locksley désigna à son compagnon,
ce fut un mur d’enceinte crénelé qui protégeait un immense donjon blanc.
    — La Tour, dit-il simplement.
    Guilhem balaya la forteresse des yeux. Bornée par
deux tours d’angle arrondies, la courtine n’avait aucune ouverture, sinon une
sombre voûte fermée par une grille permettant d’embarquer à marée haute. Les
toitures de quelques constructions intérieures dépassaient de la muraille, mais
c’était l’immense donjon blanc qui attirait le regard. Une formidable tour
carrée, renforcée de tourelles d’angle.
    — J’ai l’impression qu’il y a une seconde
enceinte à l’intérieur, autour du donjon, remarqua Guilhem en le désignant du
doigt.
    — C’est possible, je n’y ai jamais pénétré.
    — Où est l’entrée ?
    — Du côté de la ville, il y a un double pont
séparé par une barbacane. Le premier surmonte un large fossé. C’est le seul
passage, à part la voûte devant la rivière.
    — Il y a une grille. Qui a la clef ?
    — Sans doute le gouverneur.
    — Et cette tour ronde ?
    L’édifice se dressait à l’angle de l’enceinte et
empêchait tout passage le long du fleuve.
    — La tour de la cloche [45] . Elle est construite depuis peu.
    Locksley avait eu raison en assurant qu’il était
impossible d’entrer dans cette citadelle sans y être invité, songea Guilhem.
Bien que la marée soit basse, il observa que ni les cygnes ni les canards ne
s’aventuraient sur la rive boueuse. Il avait songé un instant pouvoir escalader
le mur d’enceinte avec un grappin et une corde, mais c’était impraticable à
cause de la tour ronde et de la vase. C’était encore moins possible quand