L'or de Poséidon
le peintre ne bougeait pas. Nous le ramassâmes pour le ligoter étroitement contre la porte. Nous la redressâmes ensuite pour l’appuyer contre un mur, en prenant soin de mettre Varga la tête en bas. Les torchons étaient restés accrochés à la corde, ce qui ajoutait à l’effet fantastique du tableau.
Le bon plâtre est extrêmement cher. Et il faut le peindre avant qu’il sèche. Si le barbouilleur de fresques rate son coup, c’est lui qui doit payer le plâtrier de sa poche pour qu’il recommence.
Un bras passé autour de mes épaules, mon père s’adressa au visage qui se trouvait près de ses bottes.
— Varga, ce garçon est mon fils. J’ai appris que Manilus et toi lui aviez débité des sornettes !
Seul un gémissement du peintre lui répondit.
J’accompagnai mon père près du nouveau mur à décorer et nous nous assîmes les bras croisés de chaque côté du panneau de plâtre encore humide.
— Allons, Varga ! l’encouragea Geminus.
— Il n’a pas l’air de comprendre, commentai-je sans desserrer les dents.
— Oh, mais si ! certifia mon père. Tu sais, je crois qu’il existe peu de visions plus tristes au monde qu’un peintre de fresques ligoté qui regarde son plâtre sécher.
Varga tint bon un petit moment. Son visage était cramoisi, mais provocant.
— Parle-nous d’Oronte, suggérai-je. Nous sommes certains que tu sais où il se trouve.
— Puisque je vous dis qu’Oronte a disparu ! bafouilla Varga.
— Non, affirma mon père d’une voix plaisante. Oronte n’a pas disparu. Oronte partageait encore ton taudis tout à fait récemment. Il a fait des travaux pour moi en avril, et je ne l’ai pas payé avant novembre. (Les conditions de travail de mon père étaient de celles qui étranglent les petits artisans.) J’ai fait porter l’argent chez vous !
— On l’a volé ! expliqua Varga.
— Mon reçu porte son sceau décoré d’un cochon. Vous l’avez volé aussi ? Et lequel de vous deux a fait mon travail ?
— Oh, arrête de me casser les pieds, Geminus !
— Si c’est comme ça que tu le prends ! s’écria mon père en se redressant, laisse-moi te dire que tu as tort. Ma patience est à bout, dit-il en s’adressant à moi.
Sur ces mots, il farfouilla dans la sacoche attachée à sa ceinture et en tira un grand couteau.
45
— Oh, allons, P’a ! protestai-je sans grande conviction. Tu vas lui faire peur. Tu sais bien que les peintres sont tous des froussards !
— Je ne vais pas lui faire grand mal, promit Geminus en me faisant un clin d’œil. (Il fendit plusieurs fois l’air avec son arme, un solide couteau de cuisine dont il devait se servir pour déjeuner.) Mais en attendant qu’il parle, on peut toujours s’amuser un peu.
Ses yeux trop brillants ne me disaient rien qui vaille. On aurait dit un enfant s’apprêtant à faire une bêtise. Cette pensée m’avait à peine traversé l’esprit qu’il lança le couteau sans hésiter. Il alla se planter en vibrant dans la porte, entre les jambes du peintre. Elles étaient heureusement écartées, mais pas beaucoup.
— Geminus ! hurla Varga qui sentait sa virilité menacée.
— Oooh ! Cette fois tu as eu de la chance ! m’exclamai-je avec sincérité.
J’étais vraiment stupéfait de l’habileté de mon père. Je me relevai après avoir sorti mon poignard de ma botte. Geminus inspectait l’endroit où s’était planté son couteau.
— Je crois que j’ai un peu perdu la main, commenta-t-il. J’ai bien failli castrer ce misérable.
— Je vais essayer, annonçai-je, mais je ne suis pas aussi bon que toi à ce petit jeu.
En me voyant viser la porte à mon tour, Varga se mit à hurler à l’aide.
— Ferme-la, lui conseilla mon père sans élever la voix. Attends un peu, Marcus, il nous casse les oreilles. Je vais régler le problème. (Il trouva un chiffon dans la sacoche d’outils. Un chiffon puant et imprégné d’une matière difficile à identifier à première vue.) Ce truc est probablement empoisonné mais on n’a rien d’autre. On va le bâillonner avec. Après, tu vas pouvoir t’exercer.
— Manilus sait où il est ! gémit Varga d’une voix mourante. Oronte est son copain à lui. Il sait où le joindre !
Nous le remerciâmes, mais P’a le bâillonna tout de même avec le chiffon, et nous l’abandonnâmes attaché la tête en bas.
— La prochaine fois que tu auras envie de te moquer des gars Didius, réfléchis bien
Weitere Kostenlose Bücher