L'or de Poséidon
la jeunesse moderne, l’état du marché, le déclin des principes sociaux, les horreurs d’un programme de travaux publics… dit-il en plaisantant seulement à moitié. (Puis il me confia :) J’éprouve des difficultés à liquider les biens de mon frère.
C’était donc la raison de ses préoccupations.
Camillus n’était pas le seul Romain à qui un frère avait causé des ennuis. Le sien, tombé en disgrâce, avait participé à un complot qui avait jeté l’opprobre sur toute la famille. C’était d’ailleurs la raison pour laquelle la maison jumelle était vacante. J’étais bien placé pour savoir que le frère était mort, mais il est rare que la mort règle tous les problèmes.
— As-tu contacté le commissaire-priseur que je t’ai recommandé ?
— Oui. Geminus m’est d’un grand secours.
Ce qui, en clair, signifiait qu’il n’était pas regardant sur la provenance et l’homologation des objets.
— Oh ! il connaît son affaire, acquiesçai-je avec un sourire désabusé.
Geminus était mon père. Il avait levé le pied avec une rouquine, abandonnant femme et enfants, mais ce détail mis à part, il pouvait passer pour un excellent citoyen.
— Il paraît évident que toute la famille sait reconnaître la qualité ! commenta le sénateur en souriant. (Il s’était enfin débarrassé de sa mélancolie et n’avait pas pu résister au plaisir de m’adresser une petite pique.) Mais assez avec mes ennuis. Comment vas-tu ? Et comment va Helena ?
— Je suis vivant. Je n’en demande pas davantage. Helena reste fidèle à elle-même.
— Ah !
— J’ai bien peur de l’avoir ramenée encore plus indisciplinée. En outre, elle a appris des tas de jurons au cours de ce voyage. C’est tout à fait regrettable après l’éducation raffinée que Julia Justa et toi-même lui avez donnée.
— Helena Justina a toujours su faire abstraction de cette éducation.
Les femmes sont censées se conduire avec retenue en public. Elles peuvent être de vrais tyrans en privé, tant que le bon vieux mythe romain de la soumission féminine n’apparaît pas publiquement menacé. Le problème avec Helena Justina, c’est qu’elle refusait tous les compromis. Elle n’hésitait jamais à dire ce qu’elle pensait, ni à faire ce qu’elle disait. Devant cette sorte de comportement pervers, un homme qu’on avait préparé à la fausseté et à l’inconsistance féminine ne savait pas toujours très bien comment se comporter.
Moi, j’appréciais cette attitude. Je me réjouissais de ne jamais savoir à quoi m’attendre. J’aimais être choqué et étonné tour à tour. Même si c’était loin d’être toujours facile.
Son sénateur de père, à qui elle n’avait pas demandé son avis pour venir vivre avec moi, paraissait parfois surpris que je parvienne à m’accommoder de sa fille. Il appréciait, j’en suis sûr, de ne plus être sa seule victime.
Quand nous passâmes à table, nous retrouvâmes une Helena Justina resplendissante dans une tunique blanche tissée de fils d’or et merveilleusement drapée autour d’elle. Les servantes de sa mère l’avaient huilée, parfumée, ornée de colliers et de bracelets. Comme d’habitude, elles avaient réussi à donner à leur jeune maîtresse une apparence qui proclamait qu’elle avait deux fois mon rang et me valait vingt fois.
Mais j’eus soudain un coup au cœur. L’un des colliers qui entouraient son cou était fait de perles d’ambre de la Baltique. Collier que sa mère n’avait jamais vu et sur lequel elle ne manqua pas d’interroger Helena. (Au cours de ce dîner, elles entretenaient une conversation tout à fait futile.)
— C’est un cadeau d’anniversaire de Marcus, précisa sa fille.
Je servis des gourmandises à la femme du sénateur avec toutes les fioritures qui s’imposaient, et elle les accepta avec une amabilité de commande.
— Est-ce que ce voyage au-delà du fleuve Rhenus t’a apporté quelque chose de bon, Marcus Didius ? demanda-t-elle.
Helena Justina intervint immédiatement d’une voix posée :
— Tu veux dire « quelque chose de bon » en dehors d’avoir assuré la paix dans cette région, éradiqué la fraude, rallié les légions – et donné l’occasion à un membre de la famille de prouver ses qualités de diplomate ?
Sa mère balaya son intervention sarcastique d’un coup de menton. Alors, la fille du sénateur m’adressa un sourire dont la douceur était aussi
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